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acte, composition puissamment conçue, habilement travaillée, et dont le dessin comme l’exécution appartiennent en propre à M. Ricci. J’ai loué tout à l’heure sa coupe originale des duos ; semblable compliment peut être adressé au jeune maître au sujet de ce quintette, qui, à défaut d’autres mérites, aurait encore celui de ne rappeler en aucun point le type si rebattu désormais du célèbre finale de la Lucia. D’un côté se tiennent Ronconi et la Brambilla, de l’autre la Grisi, M. de Candia, Mlle Amigo ; je cite cette disposition de mise en scène, parce qu’elle me paraît d’une haute importance dans l’économie du quintette considéré au point de vue général. D’une part basse et contralto, de l’autre contralto et ténor, et planant au-dessus de tout, soutenu par tous, le soprano. N’y a-t-il point là quelque chose du triangle mystique entrevu par Dante et donné pour symbole à la divinité qui n’est en somme que l’harmonie suprême ? Ajoutez à cela le chœur, un orchestre parfait, sagement ordonné, vaillamment conduit, et vous aurez une idée de ce magnifique morceau d’ensemble, dont les lignes mélodieuses se développent et se combinent avec une exactitude mathématique. Évidemment une pareille composition ne saurait être l’œuvre d’un musicien ordinaire, et M. Frédéric Ricci, n’eût-il pas d’autre titre à faire valoir, aurait conquis dès aujourd’hui en France la place qu’il occupe en Italie. — C’est au troisième acte que le caractère de Corrado se montre dans toute sa physionomie dramatique. On n’imagine rien de plus touchant que cette phrase par laquelle le malheureux père supplie sa fille de renoncer à son dessein d’entrer au cloître et la conjure de rester auprès de lui. Ronconi met dans toute cette partie du rôle un accent admirable, une sensibilité déchirante, et lorsqu’enfin, cédant à la volonté de Delizia, Corrado étend la main sur le front de la jeune fille agenouillée et s’écrie en dévorant ses larmes : Ti benedico ! le pathétique atteint son apogée. Cependant aucun bravo n’indique en ce moment dans la salle que cette émotion soit partagée ; on continue à causer, à sourire, à lorgner, en attendant quelque vulgaire cabalette pour laquelle on sera tout enthousiasme et tout feu. Le public est ainsi fait. Supposez maintenant que tout ce monde se trouve réuni au Théâtre-Français, et pour une intention du genre de celle dont je parle, vous le verrez donner à Mlle Rachel des témoignages de fanatisme ; mais, au Théâtre-Italien, on n’applaudit que la musique, et tout ce qui se passe en dehors de la cavatine du ténor ou de la prima donna est un luxe que l’on veut bien exiger du chanteur, mais qu’on ne saurait encourager. — La prière à trois voix : O pietoso signor delle genti ! a de l’ampleur et de la solennité ; j’aime moins l’air de contralto qui suit : Tu non pensavi, o misera ! cela est languissant et monotone, et n’a d’autre mérite, à mon sens, que celui de mettre en évidence le talent de la Brambilla, cantatrice d’un grand style et d’un goût parfaitement pur, la dernière qui représente désormais cette école de Velluti, dont il y a peu d’années les conservatoires de Milan et de Naples gardaient encore la tradition. Le duo entre Corrado et Roggero se recommande pour l’adagio par une grande sensibilité d’élocution, et pour la strette par un entraînement sans égal,