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MANCHESTER.

police particulière. À l’exception des quartiers du centre, sur lesquels s’étend la juridiction municipale, tout propriétaire peut bâtir comme il lui plaît et sans avoir aucun règlement à observer. On a beau adosser les masures aux masures, creuser dans les rues des mares infectes, et jeter sur la voie publique des chiens ou des chats morts, la police n’a rien à y voir.

Les autorités de Manchester consacrent annuellement 5,000 liv. st. au service de la voirie. Cette somme est insuffisante, et l’organisation essentiellement défectueuse. On nettoie les rues de première classe une fois par semaine, les rues de seconde classe une fois tous les quinze jours, et les rues de troisième classe une fois par mois. Quant aux cours intérieures, aux allées, aux cloaques habités par les classes pauvres, aucune somme n’est affectée à leur entretien. L’administration municipale, on le voit, n’est guère moins aristocratique à Manchester qu’à Londres ni qu’à Liverpool. Là aussi, il y a deux villes dans une seule ; d’un côté, de l’air, de l’espace et des provisions de santé ; de l’autre, tout ce qui empoisonne et abrége l’existence, l’entassement des édifices et des familles, l’obscurité, l’humidité, l’infection.

Il faut donc peu s’étonner de ce que la mortalité frappe dans une proportion inégale les différentes classes d’habitans. À Manchester, les chances de la vie sont de 38 ans pour les classes supérieures (profesional persons and gentry), de 20 ans pour les boutiquiers, qui habitent plus à l’étroit et souvent dans les mauvais quartiers, de 17 ans pour les ouvriers des manufactures et pour les journaliers. Dans la paroisse de Broughton, dépendance rurale de Manchester qu’habitent principalement les manufacturiers de cette ville, il meurt un homme sur 44,44/100, et une femme sur 89,50/100 ; moyenne des deux sexes, 1 sur 63. Quel commentaire pourrait être plus éloquent que le simple rapprochement de ces chiffres ? et n’est-ce pas un état contre nature que celui dans lequel une classe d’hommes se réserve, pour ainsi dire, le monopole de l’existence, dans lequel un manufacturier vit quatre âges d’ouvrier, dans lequel la vie, pour le plus grand nombre, sans âge viril et sans vieillesse, s’étendant à peine jusqu’au seuil de la puberté, est perpétuée par des générations d’enfans ?

Communément, il meurt autant de personnes avant l’âge de 20 ans dans les districts manufacturiers de l’Angleterre, qu’il en meurt avant l’âge de 40 ans dans les autres districts, sans excepter Londres lui-même. Sur 1,000 enfans, qui naissent à Manchester, dans les rangs de la classe laborieuse, 570 sont emportés avant leur cinquième année. Pour ceux qui atteignent l’âge viril, la vieillesse arrive prématuré-