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MANCHESTER.

Jusqu’à l’invasion du choléra, l’état intérieur de Manchester n’avait pas éveillé la sollicitude de ses magistrats. À cette époque, un conseil de salubrité (board of health), organisé en toute hâte, visita les quartiers habités par les classes pauvres, et fit, sur ce qu’il avait vu, un rapport dont la substance, publiée par le docteur Kay, produisit dans toute l’Angleterre une profonde et douloureuse impression. L’enquête avait constaté que sur 687 rues 284 n’étaient pas pavées, que 53 ne l’étaient qu’en partie, que 112 étaient des impasses qui n’admettaient aucune ventilation, et que 352 contenaient des amas d’immondices ainsi que des eaux croupissantes et horriblement souillées. De 6,951 maisons visitées par les inspecteurs, 2,565 étaient infectées au point d’exiger immédiatement un lait de chaux, 960 tombaient en ruines, 1,435 étaient humides, 452 sans ventilation possible, et 2,221 manquaient des plus indispensables moyens de propreté. La description de quelques-unes de ces rues, empruntée à la brochure du docteur Kay, montrera dans quel abîme de fange et dans quelle atmosphère pestilentielle vivent les ouvriers les plus malheureux. Je choisirai les deux districts qui portent le nom de Petite-Irlande et de Gibraltar.

« Une langue de terre basse, marécageuse, exposée à de fréquentes inondations et à des exhalaisons empestées, est située entre un escarpement élevé sur lequel passe la route d’Oxford et un bras de la rivière Medlock, dont une vanne arrête le cours. Le sol, dans ce lieu insalubre, est tellement déprimé, que les cheminées des maisons, dont quelques-unes ont trois étages, atteignent à peine à la hauteur de la route. Deux cents maisons environ, entassées dans un espace aussi étroit, sont habitées principalement par la plus misérable classe d’irlandais. Plusieurs de ces maisons ont aussi des caves dont le sol est à peine au niveau du Medlock, et se trouve souvent couvert de quelques pouces d’eau. Là se réfugient les voleurs et les bandits qui ont déclaré la guerre aux lois, et ses habitans ordinaires ressemblent à des sauvages par leurs appétits ainsi que par leurs mœurs. La Petite-Irlande est située entre deux rangées des plus vastes manufactures de Manchester, qui vomissent la fumée en nuages épais suspendus au-dessus de cette insalubre région. »

Passons maintenant à l’autre extrémité de la ville, du côté de l’Irk, cette rivière auprès de laquelle la Bièvre, dans Paris, pouvait passer pour un courant d’eau pure, même avant d’avoir été nettoyée. « Au-dessous du pont Ducie, dans un creux profond et entre deux escarpemens élevés, l’Irk environne un groupe de bâtimens en ruine. Le cours de la rivière est arrêté, à cet endroit, par une vanne ; une vaste