Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/1021

Cette page a été validée par deux contributeurs.
1017
DE LA LITTÉRATURE POLITIQUE EN ALLEMAGNE.

gens du village ? Plus tard, il la retrouve, il l’aime, et, forcé de continuer sa route, il entretient avec elle une correspondance qui est le véritable sujet du livre ; car ce sujet, c’est la prédication du protestantisme, je dis du protestantisme saint-simonien tel que l’entend M. Mundt, et cette prédication, il l’adresse à une jeune fille catholique qui se convertira à ses idées et adoptera sa religion. Mais non, ce n’est pas à une jeune fille que le romancier s’adresse ; les personnages disparaissent, les figures s’effacent, et aux allures épiques du récit, à l’enthousiasme poétique du style, il est facile de reconnaître que le romancier est devenu un prophète, un hiérophante. Cette jeune fille, c’est le catholicisme lui-même, le catholicisme qui abdique devant la matière justifiée. La hardiesse singulière du titre ne permet pas de doute à cet égard, et il est évident que, dans l’intention de M. Mundt, c’est la madone elle-même qui se convertit aux doctrines de Saint-Simon ; oui, la madone adorée du XIIe siècle, la madone de saint Bernard, la mère de douleurs, qui s’agenouille aux pieds d’Épicure !

Un tel livre n’est possible qu’en Allemagne. Ce mélange d’enthousiasme religieux et d’impiété naïve, d’exaltation idéale et de sensualisme effronté, tout cela ne peut se présenter sous cette forme que dans le monde germanique. M. Mundt s’est efforcé, je le sais bien, d’élever sa doctrine, de purifier sa prédication ; à ces pages que je citais plus haut, il a opposé un chapitre sur Casanova, destiné à mieux mettre en lumière la pensée qui l’inspire. Casanova, pour lui, c’est le sensualisme dégradant l’esprit ; son héros, au contraire, c’est le spiritualisme élevant à soi et transfigurant la matière. Il y a même, dans l’éducation de son héros, un progrès qu’il faut suivre : cet homme qui a commencé par exalter Casanova, qui s’enthousiasme pour les qualités prodigieuses de son esprit, pour toutes ces facultés éminentes qu’il enfouit à plaisir dans la débauche, ce même homme finit dans les derniers chapitres du roman par opposer à la vie de Casanova un système qu’il croit beaucoup meilleur, l’union de l’esprit et de la chair dans des noces impossibles, dans les joies mystiques d’un christianisme apocryphe. Chez Casanova, c’est la chair qui fait violence à l’esprit ; chez M. Mundt, il y a union volontaire, adultère consenti et longuement prémédité. Voilà l’intention morale de l’auteur : la distinction est importante, comme on voit ; et un tel progrès mérite bien qu’on le proclame très haut ! Après cela, comment s’étonner que M. Mundt ne puisse échapper aux périls de son sujet, et qu’il y ait dans le développement de sa fable plus d’une page véritablement illisible ?