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DE LA LITTÉRATURE POLITIQUE EN ALLEMAGNE.

comment ce style cavalier, comment ces allures de grands seigneurs, peuvent être, selon l’expression de M. Wienbarg, une garantie, une sauvegarde pour les libertés qu’on invoque. Dans ses Nouvelles de voyage, M. Laube abandonne les marquis ; aux bergeries aristocratiques, aux idylles de Trianon, succèdent les idylles bourgeoises. Il y a certainement beaucoup de fraîcheur dans ces petits tableaux, et c’est là un des plus agréables ouvrages de M. Laube ; mais, encore une fois, qu’importe cette élégance, cet éclat tout extérieur, cette fantaisie coquette et précieuse, cette gentillesse dont il fait si grand cas ? Les personnages qu’il met en scène ne sont pas des personnages vivans ; ils n’ont point d’ame, point de passion. L’auteur n’a pas su leur donner une existence qui leur soit propre : ce sont des silhouettes indécises, et son caprice seul les fait paraître et disparaître avec une prestesse dont s’amusent un instant les yeux. Ce défaut dans les conceptions, ce manque absolu de vigueur et de pensée, ce culte superstitieux de la forme, de l’éclat, de la dorure, est plus choquant encore chez un écrivain qui a des prétentions à une influence sociale, et dont le nom a été cité long-temps parmi les chefs d’un mouvement politique ; car, malgré la frivolité de son imagination, malgré la folle insouciance de ses débuts, M. Laube a fini aussi par se prendre au sérieux : c’est très sincèrement qu’il s’est cru un des protecteurs de l’esprit nouveau. Qu’un écrivain, un poète, amoureux de ce qu’on appelle la forme et la couleur, leur attribue une importance exclusive, qu’il emploie son talent à une œuvre impossible, qu’il veuille rendre la langue solide comme la pierre que manie Michel-Ange, resplendissante comme une toile du Titien, ce n’est là qu’une hérésie littéraire très inoffensive, et les écrivains de cette école professent ordinairement beaucoup de dédain pour les théories et les systèmes. Ce qu’il y a de curieux chez M. Henri Laube, c’est cette foi si robuste dans la valeur sociale d’une période, dans l’influence politique d’une interjection. Il en est venu à croire que l’habileté de sa plume est le fait le plus important, l’évènement décisif dans cette levée de boucliers à laquelle son nom s’est trouvé mêlé. M. Wienbarg avait dit : — Notre style nouveau, plaisant, vif, humoristique, c’est là notre liberté. — M. Boerne avait dit aussi : — Tant que la jeune Allemagne conservera ce style, elle est sauvée. — Quel était le sens de ces paroles ? Je l’ai expliqué plus haut. M. Boerne et M. Wienbarg donnaient à leurs jeunes troupes une arme légère, hardie, et ils les lançaient contre les lourds bataillons des philistins. Eh bien ! M. Laube, au lieu de se battre, s’est amusé à ciseler, à polir, à dorer la poignée de sa dague. Charmante puérilité ! On a vu un