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de Mayence à Cassel, jusqu’à ce que, dégoûté de ces tracasseries, il quittât son pays et trouvât un abri en Danemark. Cela se passait en 1835, l’année même où M. Gutzkow était jugé à Mannheim et jeté en prison. Que dire enfin ? La diète s’était émue de ce qu’elle appelait les hardiesses de l’esprit nouveau, et c’était par son ordre qu’on poursuivait ainsi ces inoffensifs écrivains. Ne semble-t-il pas que ces persécutions dussent inspirer la jeune Allemagne, l’arracher à ses préoccupations de bel esprit, lui donner enfin quelques-unes de ces convictions que M. Wienbarg avait essayé en vain de lui communiquer ? C’est vers la même époque que M. Gutzkow publia ses Caractères politiques. Je voudrais sincèrement pouvoir louer une œuvre datée de cette année 1835, et où je trouverais un vigoureux effort de la jeune Allemagne, une lutte sérieuse au nom de principes nettement définis. L’ouvrage que M. Gutzkow a intitulé Caractères politiques contient une série d’études sur les hommes les plus importans de l’époque. Je ne sais rien de plus affligeant que cette lecture pour qui y cherche une idée et l’expression politique de la jeune école. Une biographie vulgaire de M. de Talleyrand, quelques remarques insignifiantes sur M. Martinez de la Rosa, une suite de lieux communs sur Carrel, sur M. Ancillon, sur le docteur Francia, sur le sultan Mahmoud et Méhémet-Ali ; pas une pensée, pas un point de vue ; un prétexte seulement pour quelques jeux d’esprit, et pour parler beaucoup de soi, voilà ce livre. Ajoutez-y une sotte diatribe contre M. de Châteaubriand, dans laquelle le pamphlétaire, en insultant le génie poétique de l’illustre auteur de René et des Martyrs, en lui prodiguant les injures et les sarcasmes, n’a réussi qu’à montrer plus complètement la vulgarité de son esprit. La plume qui a pu écrire de telles pages s’est décréditée à jamais, et j’épargne M. Gutzkow en ne le citant pas.

Comment s’est gâtée chez M. Gutzkow une intelligence qui n’est pas sans ressources, mais à qui il eût fallu, au lieu des excitations trompeuses, une direction sévère, une surveillance attentive sur soi-même ! D’où vient cette chute d’un esprit qui n’était pas mal doué ? D’un mal bien commun aujourd’hui, de l’infatuation et du désir de paraître. À ce jeu-là, il a flétri les plus belles choses. Il s’est servi de la poésie pour se composer une physionomie de Faust et de don Juan, et, comme il n’a point réussi, il a cru qu’il jouerait habilement le rôle d’une victime. Je ne pardonne pas à M. Gutzkow de m’avoir fait sourire à propos des violences dirigées contre la jeune Allemagne, à propos de ces persécutions où plus d’un noble cœur a souffert. Comment, en effet, lire sérieusement cette phrase : « Celui qui ne s’est