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DE LA LITTÉRATURE POLITIQUE EN ALLEMAGNE.

l’écueil de la plaisanterie allemande ; elle devient trop fantasque, elle s’éloigne trop de la ligne que s’est tracée la pensée, et, chassant de droite et de gauche, elle oublie le but. Mais vous savez, messieurs, où il faut chercher la cause de cette ironie effarouchée, de cette fantaisie qui se perd toujours dans le bleu du ciel. Souvenez-vous de Jean-Paul. Y avait-il une véritable unité dans sa vie, dans son caractère ? avait-il devant lui un but déterminé ? Non. Il s’élevait, vers toutes les hauteurs, mais, à la manière des poètes de son temps, c’était en rêve plutôt qu’en action. Jean-Paul était un noble esprit, un libre esprit ; il connaissait les fautes de son époque, il sentait la honte de la patrie, il détestait l’aristocratie et les moines, mais ses aspirations vers des jours meilleurs se perdaient sans cesse dans des rêveries sentimentales ; et s’il s’armait par hasard d’une forte lance, s’il déclarait la guerre à un ennemi, c’était aux contrefacteurs, à la canaille littéraire de son temps bien plutôt qu’aux grands ennemis et aux maux sérieux de la patrie. Cette faute était celle de son siècle : aujourd’hui, l’ironie s’est cherché un champ de bataille ; avec la liberté à sa droite, elle y marche contre les casques rouillés et les bonnets râpés, et, Dieu merci ! il y a déjà à terre assez de pièces et de lambeaux pour attester sa force. Nous ne la laissons plus s’ébattre follement et obéir à ses boutades ; ce n’est plus un coursier impatient et sans frein, qui ne suit ni routes ni sentiers, qui s’emporte à droite et à gauche et ne nous fait admirer que sa hardiesse ; le cheval frémissant a un bon cavalier sur son dos, et, guidé par lui, il franchit, il renverse ces barrières détestées que la sottise et l’insolence ont élevées pour nous voler la libre jouissance de ce monde. L’ironie de notre prose nouvelle n’est plus une ironie fantasque, c’est une ironie sérieuse ; c’est la sauvegarde de notre liberté civile. »

J’ai insisté sur les idées de M. Wienbarg ; elles sont importantes pour l’histoire de son école. On y voit très bien l’origine du mouvement d’idées que cette école a essayé de représenter, et le but qu’on se proposait alors : on y voit éclater cette haine de la vieille Allemagne et de la scholastique, et cette vivacité d’esprit que le jeune écrivain désire pour son pays ; mais je crois y découvrir aussi l’explication de toutes les erreurs de la jeune Allemagne. Pense-t-on que les programmes, dans les révolutions littéraires, se rédigent et s’imposent de cette façon ? Pense-t-on qu’il suffise d’écrire une théorie, sensée et spirituelle d’ailleurs, sur la valeur de l’ironie, sur le sens politique de l’humour, sur la manière de l’approprier au caractère allemand ? pense-t-on que cela suffise pour créer une armée d’écrivains et sus-