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plorer les erreurs où cette réaction a été entraînée, il faut regretter que le matérialisme, dans la confusion de la bataille, ait voulu détrôner le vrai génie de l’Allemagne : reconnaissez pourtant que ce premier mouvement était légitime, que cette insurrection des esprits était un devoir. C’est un point qu’il importe de bien établir en commençant : je blâmerai assez sévèrement tout à l’heure les tristes excès qu’on n’a pas su éviter. Eh bien ! cette insurrection, provoquée dans l’enthousiasme de 1830 par les fautes du spiritualisme germanique, éclata en peu de temps sur toute la ligne. Les universités furent troublées dans leur gloire séculaire ; la vieille érudition, la vieille poésie, c’est-à-dire tout ce qui avait vieilli trop vite en refusant de prendre des forces, comme Antée, sur le sein fécond de la terre, tout cela fut poursuivi, raillé attaqué par une école hautaine, laquelle, pour mieux marquer la différence, s’intitula fièrement la Jeune Allemagne.

D’où vient ce nom de jeune Allemagne ? Par qui, à quelle époque fut-il proclamé pour la première fois ? Comment est-il devenu un cri de guerre ? Il y avait, en 1833, à l’université de Kiel, un jeune homme, un jeune privat-docent, plein d’esprit et de cœur, qui faisait sur l’esthétique des leçons brillantes et hardies. Il y traçait comme le programme de la révolution littéraire qui se préparait de tous les côtés : il s’était chargé d’annoncer l’esprit nouveau. Tous ces désirs dont je parlais tout à l’heure étaient exprimés par lui avec une vivacité singulière. Il battait en brèche l’ancienne éducation des universités, et, chose étrange ! c’était du milieu même d’une université, c’était d’une chaire où parlaient ceux-là même dont il annonçait la ruine, c’était de cette position audacieuse qu’il lançait, comme un défi, ses brûlantes paroles. Il est vrai que le jeune orateur dut quitter bientôt ce théâtre où il n’était pas libre, et s’en aller de ville en ville, errant, persécuté, fondant des journaux et des revues, écrivant au jour le jour, portant partout la franche honnêteté de son cœur, la rare finesse d’une pensée à la fois mélancolique et ardente. Je parle de M. Louis Wienbarg, un des écrivains les plus distingués, un des plus spirituels penseurs de cette jeune Allemagne, un de ceux qui auraient été dignes de l’organiser puissamment et de la conduire vers un but glorieux. Il aurait pu lui communiquer quelque chose de sa sincère passion, de son fier idéalisme ; je crains bien qu’il ne lui ait pas donné autre chose, hélas ! que le nom qu’elle a porté.

En publiant sous le titre de Batailles esthétiques les leçons qu’il avait faites à l’université de Kiel, M. Wienbarg commençait ainsi : « C’est à toi, jeune Allemagne, que je dédie ces discours, et non pas