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pays que cette rêverie puissante, cette extase sans fin qui l’arrachait aux soucis de la vie pratique ; maintenant tout est bien changé. Si nous ne voulons pas être toujours en retard d’un demi-siècle avec l’Allemagne et juger les enfans sur les œuvres de leurs pères, décidons-nous à abandonner nos formules de louange ; ne nous obstinons pas à admirer chez elle des vertus qu’elle répudie, cessons de croire à ces ressources inépuisables de spiritualisme qui nous la faisaient aimer. La philosophie et la poésie avaient été pour elle deux sœurs sublimes toujours éprises de l’infini ; aujourd’hui les voici ramenées sur la terre. Et comment s’accomplit cette transformation si grave ? Est-ce par un développement régulier ? est-ce par ce progrès naturel qui fait succéder au vague enthousiasme de la jeunesse la ferme décision de la pensée virile ? Non ; c’est avec une brusque violence qui, si l’on n’y prenait garde, déshonorerait la muse allemande. Je veux marquer les principaux caractères de cette direction nouvelle dans les idées ; je tiens à constater le bien et le mal qu’elle a produit. L’importance singulière de ce mouvement imprévu, la gravité des questions qui y sont renfermées, me forcent d’interroger rapidement cette confuse histoire et de grouper d’une manière distincte et reconnaissable les écrivains qui ont pris une part active à cette lutte. S’il est permis de regretter avec larmes quelques-unes des qualités qui recommandaient le génie de l’Allemagne, on ne saurait nier pourtant que le nouveau travail de sa pensée n’ait été provoqué par des nécessités impérieuses ; en recherchant l’origine de cette réaction, nous saurons peut-être ce qu’elle renferme de légitime au milieu de ses plus fâcheux excès, et comment, malgré tant de fautes commises, elle peut encore être conduite à bien.

C’est un devoir sans doute pour la France de s’enquérir avec sympathie de ces évènemens inattendus, mais elle a le droit aussi de donner librement son avis sur ces vives questions, car c’est à nous que l’Allemagne doit ce réveil de sa pensée, ces espérances, ces excitations qui parlent si haut aujourd’hui. On sait ce que produisit, du Rhin jusqu’à l’Elbe, la victoire de 1830, et quelles fortes secousses furent imprimées à l’opinion. Les préjugés factices, les rancunes surannées, que ce pays subit avec tant de facilité, et que ses gouvernemens exploitent si habilement contre nous, avaient fait place à un naturel enthousiasme. Arrachés à leurs préoccupations jalouses par l’entraînement de juillet, les peuples allemands s’étaient rappelé ce qu’ils oublient de nouveau aujourd’hui, les liens qui nous attachent à eux, la fraternité qui doit nous unir. En vain s’étaient-ils efforcés de haïr la