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annonce cette vaste et bienfaisante révolution. Mais que d’angoisses nous traverserons avant de toucher la terre promise ! Combien s’égarent qui voulaient nous y conduire ! Trop souvent les apôtres de la charité nouvelle ont le langage de la haine, trop souvent ils prêchent la licence des mœurs, trop souvent ils réhabilitent la chair et le sang. On parle avec emphase de l’humanité, et l’on a moins de religion pour la patrie, et les liens de la famille se relâchent. On voit avec tristesse et frayeur le christianisme abandonner les cœurs à mesure qu’il pénètre dans les institutions ; la conscience individuelle s’obscurcit lorsque la conscience publique s’éclaire ; les dévouemens prochains et difficiles sont négligés pour les lointaines et commodes affections, et les ames s’affaissent toujours plus vers la terre. On reconnaît là le déclin moral, le dérèglement de pensée, qui suivent toujours la chute des croyances. Il nous a fallu accomplir une terrible destruction, et cette œuvre nous a épuisés. Il est resté dans notre air je ne sais quel souffle de mort, quelle haleine du tombeau. Nous avons besoin de secours, nous cherchons avec inquiétude d’où il nous viendra.

C’est alors que surgit une famille de peuples dont tous les instincts réclament un ordre nouveau. Elle n’est pas obligée, comme nous, pour y arriver, de renier son passé, de se détacher violemment de sa tradition, de se perdre dans un doute immense qui lui ôte la force de créer. Il lui faut seulement retourner à ses vieilles coutumes, se retremper dans ses origines, appeler sur elle l’esprit des ancêtres, rejeter les servitudes étrangères, développer son organisation primitive. En même temps les Slaves n’ont pas nos erreurs. Dans toutes les classes, chez le gentilhomme, le paysan, le bourgeois, on trouve la vénération filiale, l’amour fraternel, toutes les piétés domestiques. Le patriotisme n’est pas moins une vertu de ces peuples. Il en pénètre la vie entière, il en est la grande passion. Jamais les Slaves ne seront cosmopolites. Ils ne se montrent pas patriotes seulement dans les affaires publiques ; ils le sont partout, dans la science, la poésie, la religion même. Les Slaves ont aussi un austère sentiment du devoir ; ils sont demeurés jeunes et robustes, ils ont gardé leur verte énergie. La société officielle russe est très corrompue, les débris de la noblesse polonaise sont en grande partie voltairiens ; mais ce n’est pas là le vrai peuple slave. Il faut le chercher dans les campagnes de la Russie et de la Pologne, dans les rochers de l’Illyrie, dans les vallées de la Bohême. On le trouve là avec toutes ses vertus nationales. Ce peuple si noblement doué n’a guère rien fait encore. Autour de lui, en Asie, en Europe, les empires, les religions, les civilisations se sont succédé, le travail de l’homme a été prodigieux. Mais aujourd’hui les Slaves quittent leur inertie ; ils se sentent appelés soudain à quelque chose de grand. Maintenant aussi ne s’élabore-t-il pas dans la douleur une Europe nouvelle qui seule les satisfera et qui semble avoir besoin d’eux ? N’y a-t-il pas là une harmonie providentielle, et n’est-on pas conduit à penser que les Slaves étaient réservés pour la révolution qui se prépare ?

Les apparences ne justifient guère encore ces prévisions. Les Slaves sont