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SITUATION INTELLECTUELLE DE L’ALLEMANGNE.

fait dans leur sein. Ces causes, les voici : c’est que si la France a quelque peine à juger l’Allemagne, l’Allemagne elle-même ne se connaît pas, ne se juge pas d’une manière très sûre ; c’est que, si elle sent bien ce mouvement dont je parle, elle ne sait pas cependant s’en rendre un compte bien exact, et se décider, se dévouer pour une cause distincte, pour une cause clairement comprise et ardemment embrassée. Elle doute, elle hésite ; c’est par là qu’elle est un spectacle digne d’études, mais c’est aussi par là qu’elle souffre, car, tant que durera cette indécision, il est impossible qu’il n’y ait pas dans la conscience de ce peuple quelque chose de vulnérable et d’inquiet.

Depuis que la France étudie l’Allemagne, exercée qu’elle est par la pratique de l’histoire à porter sur les évènemens un regard prompt et sûr, comme un grand artiste qui juge son art, elle a vu dès le premier jour le but où ce pays est entraîné invinciblement. Elle a dit que l’Allemagne marchait vers son unité. Mais comment doit s’accomplir ce travail ? Voilà les difficultés infinies, les complications sans nombre qui commencent. Quand nous discutons ce sujet de ce côté-ci du Rhin, nous en parlons en juges désintéressés, en historiens ; nous ne savons pas assez combien c’est une question pleine de troubles et d’anxiétés pour ceux qui y sont en cause. Ces anxiétés sont telles, qu’ils ne veulent pas toujours reconnaître ce mouvement qui les emporte. Ils ne le repoussent pas absolument, mais ils n’osent se l’avouer à eux-mêmes. Pourquoi cela ? Ne devraient-ils pas, tout au contraire, désirer l’unité de la patrie ? Ils la désirent et ils la redoutent ; ils sentent qu’ils y sont appelés, mais ils sentent aussi combien elle leur coûtera de sacrifices. Il n’est pas question ici de l’unité politique, de la réunion de tous les états de l’Allemagne sous un même gouvernement. Ce serait là toute une révolution, et, si elle doit un jour s’accomplir, l’époque où ces évènemens pourraient se réaliser est certainement très éloignée encore. Il s’agit seulement de l’unité intellectuelle ; il s’agit de fonder une communauté d’idées, de pensées, un mouvement commun des intelligences. Pour cela, il faut un centre. Où sera-t-il ? À Vienne ? à Munich ? à Berlin ? C’est là le problème dont je parle. Or, tels sont les liens qui attachent ces peuples à leur nationalité si long-temps perdue et qu’ils craignent de perdre encore ; tel est leur amour respectueux pour elle, qu’ils ne veulent pas reconnaître la suprématie toujours croissante d’une ville, la déchéance d’une autre, dans la crainte de frapper la patrie dans quelque partie d’elle-même.

Voilà les inquiétudes qui depuis long-temps tourmentaient l’Alle-