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MOUVEMENT DES PEUPLES SLAVES.

train, et n’eut jamais la puissance de leur imprimer une direction nouvelle. Alexandre, à Tilsitt, sembla se rapprocher de la France ; une question cependant ne pouvait se résoudre, celle de la Pologne. Alexandre allait jusqu’à offrir des provinces de la Turquie à Napoléon, à condition que le démembrement serait confirmé. Napoléon, prêt à des sacrifices pour gagner l’alliance russe, afin de comprimer l’Angleterre, n’a jamais voulu abandonner décidément la Pologne, et, s’il ne rétablit pas la république, il créa du moins le duché de Varsovie.

Les Polonais avaient salué avec transport la révolution. Leurs émigrés s’étaient mis au service de la république française. Les légions polonaises, détruites dans des combats journaliers, s’étaient trois fois reformées. Elles espéraient enfin se frayer un chemin vers la Pologne. Bonaparte marchait sur Vienne après ses victoires d’Italie ; Dombrowski, le chef intrépide des légions, l’engageait à appeler à l’indépendance les Slaves de l’Autriche, et l’assurait qu’il soulèverait ainsi la moitié de ses provinces ; mais l’heure de ce vieil empire n’avait pas sonné. Le projet était aussi bien conçu que hardi. Bonaparte cependant ne le comprit pas, et tout à coup négocia la paix. Les Polonais avaient plus que personne souffert de la guerre ; mais en apprenant qu’elle allait cesser, ils ressentirent une affreuse douleur ; plusieurs même devinrent fous à cette nouvelle, car la Pologne n’attendait son rétablissement que du conflit européen. Cependant, quand le génie de Napoléon se fut révélé tout entier, la Pologne espéra de nouveau ; elle devina qu’une immense fortune était attachée à cet homme, et se dévoua à lui. Les personnages les plus honnêtes de l’ancien régime ne comprenaient rien à ces sentimens. Kosciusko, Lubomirski, le prince Adam Czartoriski, demandaient à Napoléon des garanties. Ils voulaient lui extorquer la promesse formelle du rétablissement de la république, et avertissaient leurs compatriotes de n’avoir pas une foi aussi aveugle en lui. Le duché était en effet exposé à une ruine financière et agricole, payait des impôts énormes, et entretenait une nombreuse armée. Malgré tout cela, les Polonais tenaient fermement à l’idée napoléonienne. Après leur longue anarchie, ils se trouvaient enfin entraînés par un même enthousiasme. Ils ne se divisaient plus pour des théories politiques, des plans de réformes, des intérêts de factions, stériles disputes qui les avaient perdus. L’union et la confiance étaient revenues. Aussi ne regrettaient-ils ni leur argent ni leur sang. Joseph Poniatowski comprit les instincts de sa nation. Il fut souvent tenté par la Russie, mais il resta jusqu’au bout fidèle à Napoléon, et il est devenu par cette loyauté le héros chéri du peuple, quoiqu’on ait à lui reprocher des fautes politiques et qu’il fût loin d’être un grand tacticien.

L’influence de Napoléon sur la Russie s’explique par des causes toutes contraires ; il agit sur les Russes par l’épouvante. Comme le tsar, il prétendait à la domination universelle, il y marchait armé d’une force souveraine, il y semblait prédestiné. Les paysans et les soldats russes furent, à ce spectacle, troublés dans la foi qu’ils avaient en leur maître. Ils ne purent s’ex-