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haine pour la révolution, et quand on lui amenait des généraux français prisonniers, il leur faisait subir des fumigations comme aux pestiférés. Il adorait la personne de l’empereur ; il s’inclinait devant le prétendant, faisant le signe de la croix, et baisant le pan de son habit. Ce que Paul voulait accomplir par la politique et la religion, Souwarow le voulait accomplir par les armes.

Le malheur devait frapper ces deux hommes. Souwarow tomba victime de ce despotisme qu’il servait de toute son ardeur. Paul venait, par un ukase, de le déclarer le plus grand général de l’univers, et lui ordonnait de faire une entrée triomphale, lorsque tout à coup il se courrouce et le disgracie pour une légère infraction à la discipline. Souwarow rentra solitaire à Saint-Pétersbourg ; il se vit abandonné de tout le monde ; on craignait de prononcer son nom ; ses amis même l’évitaient ; il ne put supporter la défaveur impériale ; le chagrin le fit tomber malade, et il ne tarda pas à mourir.

À cette époque aussi, une immense réaction s’opérait chez Paul. Il s’aperçut que les légitimistes l’exploitaient, et n’avaient aucune foi en leur système. Paul voulait le réaliser dans toute sa rigueur. Représentant d’une cause religieuse, il tenait sévèrement la main à l’accomplissement des devoirs religieux. Il forçait les légitimistes à se confesser, et il ordonna aux prêtres de ne leur donner l’absolution qu’après s’être assurés de leur componction. Les légitimistes, qui parlaient sans cesse de catholicisme, se moquaient de ces pratiques à la cour de Mittau. Il l’apprit, leur refusa tout secours, et retira au prétendant sa pension.

Lorsqu’il traitait avec les rois étrangers, il proposait de réintégrer les princes dépossédés. On dit même qu’il rêvait quelquefois le rétablissement de la Pologne, pour restaurer la justice politique sur la terre ; mais l’ambassadeur d’Autriche laissa entrevoir que son gouvernement profiterait des circonstances pour s’emparer du royaume sarde et de la république de Gênes, et ne se soucierait même pas beaucoup de rendre au pape ses états. Paul voulut aussi devenir chef de tous les ordres de chevalerie. Il créa une foule de nobles, de ducs, de princes, et se proclama, quoique schismatique, grand-maître de Malte. Le pape s’accommoda de cette bizarrerie, et Paul vit qu’il tenait plus à son territoire qu’à la stricte observation des statuts de l’ordre. L’empereur douta alors du pape, des rois, de tous les systèmes et même de la religion. Cet honnête homme, dans ses tristes rêveries, ne savait plus ce qu’il devait entreprendre, et, transporté de colère, il se vengeait de ses mécomptes sur les individus, cassait les généraux, disgraciait ses favoris, et quelquefois même envoyait des régimens entiers en Sibérie. Personne n’était plus en sûreté, et les violens caprices de Paul devaient amener sa fin tragique.

L’avénement d’Alexandre éveilla les plus vives espérances. Ce prince était un Slave, qui avait quelquefois, par tradition, des mouvemens mongols, et en même temps ressentait de la sympathie pour tout ce qui est élevé. Malheureusement la force d’action lui manquait : l’énergie passive lui tenait seule lieu de fermeté. Élevé dans les idées du xviiie siècle, il était libéral à la manière de l’époque ; mais, comme souverain, il laissait les affaires aller leur