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agitent ou qui s’y préparent. Je sais combien c’est pour nous une tâche périlleuse. Outre les différences profondes de génie, de langue, de tendances, qui nous séparent de la race germanique, elle nous échappe encore par les aspects variés sous lesquels elle se présente à nos recherches, et où elle déroute ceux qui la croient saisir. Certes, ce n’est pas dans ces Allemagnes confuses que sont possibles les voyages rapides ; nous ne sommes pas là dans ces pays du soleil où, tandis que les objets détachent vivement leurs lignes sur l’or ou le bleu ardent du ciel, les pensées qui animent la nation semblent participer elles-mêmes de cette netteté visible et être gravées par la main exacte et ferme de Thucydide ou de Machiavel sur un marbre éclatant. Les idées qui travaillent ce peuple, les préoccupations qui le tourmentent, les nouvelles destinées qu’il poursuit, on ne les lit pas ainsi d’un seul regard. Il faut, pour les découvrir, une étude laborieuse et persévérante. Il est nécessaire d’interroger plus d’une fois les circonstances, les hommes, les livres, les systèmes, pour obtenir d’eux une réponse directe ; et — cette comparaison est permise à propos d’un pays qui n’est pas sans mystères, — si, dans l’épopée latine, l’oracle, avant de dévoiler l’avenir, veut être dompté par le dieu, en Allemagne c’est le présent, c’est la situation présente qui est soigneusement cachée par la prêtresse, et dont il faut lui arracher la révélation.

Les personnes qui ont habité ce pays savent combien il est dangereux de traiter un tel sujet. Quelque soin que nous puissions y apporter, quelles que soient la mesure de nos paroles, la circonspection de nos jugemens, la bienveillance et la franche ouverture de nos sympathies, nous devons renoncer à satisfaire complètement ceux dont nous parlons. Cette défaveur encourue en Allemagne par les écrivains français qui l’ont jugée, a été attribuée à une sorte de vanité irritable particulière à ce pays. Ce serait, chez ce peuple, un orgueil natif que le succès et la louange auraient rendu intraitable ; tout enivré par l’enthousiasme que provoqua chez nous l’éclat de sa période poétique, il ne voudrait plus consentir à voir les productions de la pensée allemande, je ne dirai pas blâmées, mais seulement examinées, discutées par la critique et l’esprit français. Je crois que cela est vrai pour les lettres, pour les œuvres des poètes et les systèmes des penseurs. Je serais tenté cependant d’attribuer ces mécontentemens à des causes un peu différentes, surtout en ce qui concerne non plus les détails, mais la question générale, j’entends la situation intellectuelle des peuples germaniques et le travail qui se