Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/968

Cette page a été validée par deux contributeurs.
962
REVUE DES DEUX MONDES.

aucune grande entreprise, lorsque tout à coup, dans les premières années du xiiie siècle, sans que rien eût préparé l’évènement, sans que les haines se fussent calmées, par le seul ascendant d’une ame puissante, ces hordes se réunissent sous Tschinguis-Khan, et se précipitent à sa voix sur le monde. C’est là une de ces apparitions dont on ne peut trouver la cause ici-bas et qui élèvent la pensée plus haut que la terre. L’histoire de Tschinguis-Khan est d’une sauvage grandeur. Orphelin à treize ans, abandonné de ceux dont il devait être le chef, il mène d’abord une vie errante et fugitive. Il se voit enfin à la tête de quelques hordes, joint et bat ses ennemis près de la Baldjouna. Il y avait une forêt sur les bords de la rivière : il alluma de grands feux, et fit bouillir ses prisonniers dans quatre-vingts chaudières. Ce succès commença sa fortune. Poussé par une inquiétude d’agir qui ne lui laissait pas de repos, Tschinguis-Khan guerroya dans les steppes jusqu’à ce qu’il en eût soumis toutes les tribus. De formidables multitudes, pour la première fois réunies, s’ébranlent à sa parole : on les dirait animées de son ame et transportées avec lui d’une froide colère contre les peuples. Elles demandent des conquêtes. Tschinguis-Khan se retire sur une haute montagne, s’agenouille, met sa ceinture sur son cou, invoque l’esprit du ciel, puis redescend, et montre à ses hordes le chemin de la Chine. En quelques semaines, les Mongols eurent mis les provinces septentrionales à feu et à sang. Ils se retirent ensuite, traversent leurs steppes, et arrivent sur les confins de la Kharismie. Tschinguis-Khan, encore cette fois, se retire seul sur une cime, et y passe trois jours et trois nuits en jeûne et en prières. Le sultan de Kharismie, saisi de terreur, cherche en vain dans tout son empire un asile : poursuivi, traqué, il ne cesse de fuir. Tschinguis-Khan s’attache à ses pas, le harcèle, le serre, et les chevaux mongols arrivent sur le rivage de la Caspienne au moment où le sultan, jusqu’alors tant de fois victorieux, se jetait dans une barque pour aller mourir sur une petite île inhabitée. Les cruautés des Mongols furent affreuses ; ils ne laissèrent, au lieu d’un pays populeux, qu’un désert blanchi d’ossemens. Tschinguis-Khan, comme étonné lui-même de ses fureurs, sentait en elles un aiguillon divin, un ordre d’en haut ; il se croyait envoyé pour châtier les hommes, et se proclamait le grand justicier du monde.

Tschinguis-Khan pénètre dans l’Inde, puis revient sur ses pas, traverse une seconde fois toute l’Asie, redescend en Chine, et ravage de nouvelles provinces. Il y en eut où il ne s’échappa qu’un ou deux habitans sur cent. Les Mongols eurent un instant l’idée de raser toutes les villes et de détruire les cultures : ils auraient voulu changer le monde en un grand pâturage. Tschinguis-Khan abandonna ce projet. Il mourut bientôt après, au milieu de ses victoires, après avoir versé plus de sang que Rome dans toutes ses guerres. Ses obsèques furent dignes de lui. On transporta ses restes au fond de la Mongolie, et le cortége massacra tous les êtres vivans qu’il rencontra sur la route, hommes, femmes, enfans, animaux. C’était, disait-on, pour que personne ne pût répandre la triste nouvelle. Les chefs mongols accoururent de