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Malebranche exercèrent sur l’esprit de Leibnitz, quand celui-ci créa son système des monades, est indiquée avec une sagacité mordante. Dans un excellent chapitre, consacré à l’exposition de l’optimisme, M. Demoulin, pour mieux combattre Malebranche et Leibnitz, qui arrivent à détruire la liberté de Dieu, appelle à son aide Bossuet et Fénelon. Descartes, en mettant sa politique à s’abstenir de toute excursion dans les matières religieuses, avait, par cette prudence non moins que par son génie, mérité l’estime de Bossuet, qui plaçait le Discours sur la Méthode au-dessus de toutes les productions philosophiques de son siècle. On chercha bien à inspirer à l’évêque de Meaux des doutes sur la sincérité de l’orthodoxie de Descartes ; mais Bossuet, avec son admirable bon sens, trouvait juste et habile de ne pas condamner un philosophe qui avait su éviter toute censure, et garder sur les sujets théologiques un respectueux silence[1]. À l’égard de Malebranche, la conduite de Bossuet fut autre. Quand le célèbre prêtre de l’Oratoire eut publié son Traité de la Nature et de la Grace, Bossuet, qu’effraya la théologie du métaphysicien, sut déterminer Arnauld à le combattre, et il encouragea Fénelon à entrer aussi dans la lice. C’était avant la grande querelle du quiétisme. La réfutation que rédigea Fénelon du système de Malebranche sur la nature et la grace fut revue par Bossuet, qui prit ainsi une part de responsabilité dans ce remarquable travail. Rien ne paraissait plus dangereux à cet inébranlable soutien de l’orthodoxie que les subtiles imaginations de l’oratorien philosophe. Nous en trouvons une frappante et dernière preuve dans ce qu’écrivait Bossuet à un jeune homme qui n’avait pas craint de s’ouvrir à lui de son enthousiasme pour Malebranche. « Un grand nombre de jeunes gens se laissent flatter à ces nouveautés, répondait Bossuet. Je me trompe fort, ou je vois un grand parti se former contre l’église, et il éclatera en son temps, si de bonne heure on ne cherche à s’entendre avant de s’engager tout-à-fait. » Ainsi Bossuet à la fin de sa vie pressentait que l’esprit novateur allait frapper à la porte du sanctuaire : il y a souvent bien de l’amertume dans la prévoyance du génie.

La philosophie de Descartes n’est donc pas, comme le prétendent plusieurs, une philosophie chrétienne ? Éclaircissons ce point. Descartes a fondé un spiritualisme puissant qu’il importe de caractériser avec précision. L’audacieux et habile auteur des Méditations, en

  1. Voyez la Correspondance de Bossuet, tome XXXVII de l’édition de Versailles, et une lettre nouvellement publiée, adressée par l’illustre prélat à M. Pastel, docteur de Sorbonne.