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DU CARTÉSIANISME ET DE L’ÉCLECTISME.

trer que le plus haut degré de notre connaissance est l’intuition sans raisonnement. C’est là le plus haut point de la certitude humaine. Comment, dans l’homme qui parle ainsi, méconnaître un spiritualiste ; et un spiritualiste d’autant plus remarquable, que, tout en professant, d’après Descartes, que l’entendement est à lui seul une source d’idées, Locke approfondissait la théorie de la sensation. L’originalité de Locke est d’avoir étudié la partie sensible de l’homme sans ressembler à Gassendi ; sa faiblesse est surtout dans l’inexactitude, dans l’impropriété de sa phraséologie philosophique. Hume a remarqué avec raison que le mot idée est employé par Locke dans un sens vague et multiple, qu’il désigne à la fois les perceptions, les sensations, les passions et les pensées. Cette confusion a enfanté bien des malentendus, et, dans un métaphysicien, elle est un défaut fâcheux. Néanmoins la critique philosophique, pour rester équitable, doit mettre dans la balance les qualités grandes et solides qui font contrepoids. M. Bordas-Demoulin aurait pu se rappeler aussi que l’injustice envers Locke n’avait plus le mérite de la nouveauté depuis que M. de Maistre avait lancé contre le sage d’Oxford une de ses plus virulentes diatribes.

Le plus important contradicteur de Descartes fut Leibnitz, qui porta dans ce rôle non-seulement la vigueur de son génie, mais une véritable passion. L’espèce de dictature que Descartes exerçait sur les intelligences de son siècle lui était insupportable. Il écrivait un jour à l’abbé Nicaise : « Je ne sais ce qu’on doit attendre d’un livre intitulé : Conjuration contre Descartes. Il faut que l’auteur du livre s’imagine que Descartes est devenu le souverain de l’empire de la philosophie, à peu près comme le dictateur César l’était de celui de Rome. » Leibnitz se considérait aussi comme appelé à défendre le christianisme contre les opinions de Descartes. Dans une autre lettre à l’abbé Nicaise, nous trouvons cette phrase : « On peut dire que Spinoza n’a fait que cultiver certaines semences de la philosophie de M. Descartes, de sorte que je crois qu’il importe effectivement pour la religion et la piété que cette philosophie soit châtiée par le retranchement des erreurs qui sont mêlées avec la vérité. » Voilà les deux sentimens qui ont excité Leibnitz à combattre Descartes, l’amour de la gloire, le désir d’établir la conformité de la foi avec la raison.

Leibnitz a fait la guerre à Descartes non-seulement avec ses propres forces, mais avec toutes celles que pouvait lui prêter la science du passé. Il créa un système, et il fit reparaître sur la scène l’histoire de la philosophie. Un mot sur le système.