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DU CARTÉSIANISME ET DE L’ÉCLECTISME.

système. C’est un des endroits les meilleurs du livre de M. Demoulin que celui où il montre l’auteur de la Recherche de la vérité attaqué par deux formidables adversaires, Arnauld et Leibnitz. C’est là de la bonne critique philosophique. Arnauld et Leibnitz triomphent quand ils signalent les faiblesses et les erreurs du système de la vision en Dieu ; mais les opinions qu’ils y substituent sont vulnérables, et c’est ce que démontre M. Bordas-Demoulin avec une nerveuse et pressante logique.

Malebranche est, pour ainsi dire, un néo-platonicien de la grande époque alexandrine égaré dans les temps modernes. Il eut une foi sincère dans l’orthodoxie chrétienne, et en cela il était bien différent de Descartes ; mais une imagination qu’il ne pouvait maîtriser l’emportait dans des visions qui eurent de frappantes analogies avec des théories contemporaines de la formation du dogme catholique. Aussi Malebranche fut-il combattu tant au nom de la foi qu’au nom de la raison, et sa vie fut une polémique continuelle, en dépit de la douceur de son caractère, en dépit de son amour du silence et de la paix. Vers la fin de ses jours, l’auteur de la Recherche de la vérité trouva non pas un adversaire, mais un curieux incommode dans un jeune savant qui débutait alors et qui fut depuis secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences. Dortous de Mairan, dans sa première jeunesse, avait été conduit par un de ses parens chez le père Malebranche, et il avait reçu du célèbre oratorien, comme il le dit lui-même, plusieurs instructions de mathématique et de physique. Plus tard, il passa de la lecture de Descartes, de Malebranche et de Pascal à celle de Spinoza ; il médita surtout l’Éthique, dont la forme abstraite, concise et géométrique le frappa vivement, et il lui arriva de ne pas savoir comment rompre la chaîne des démonstrations spinozistes. Mairan imagina de s’adresser à Malebranche pour qu’il voulût bien lui faire toucher au doigt les paralogismes de l’Éthique. C’est avec une répugnance visible que Malebranche s’engagea dans une correspondance à ce sujet. Ses réponses ne satisfaisaient pas Mairan, qui, avec l’indiscrète franchise d’un jeune homme, en signalait l’insuffisance pour renverser les démonstrations de Spinoza. Malebranche eut encore la patience de revenir à la charge, mais sans plus de succès sur l’esprit de Mairan, qui lui adressa une réfutation en forme de la théorie que le métaphysicien de l’Oratoire opposait à celle du philosophe panthéiste. Cette fois Malebranche pria Mairan de trouver bon qu’ils cessent de travailler inutilement. Il dit à son jeune correspondant qu’il n’espérait pas pouvoir le dissuader de ses