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DU CARTÉSIANISME ET DE L’ÉCLECTISME.

Leyde le suffrage de Christine de Suède. Quand il mourut son système était la loi philosophique de l’Europe.

À force d’étudier Descartes, on dirait que M. Bordas-Demoulin est arrivé parfois à penser qu’il lui ressemblait. Il affecte les allures d’un génie contempteur et solitaire : sa discussion est amère et sans révérence pour les plus grands noms. À l’entendre, Locke débite des puérilités et il appelle cela philosopher ; Kant a l’habitude de renchérir sur les erreurs qu’il veut combattre ; Fénelon est un faux mystique, Bacon, Gassendi, sont les fléaux de la métaphysique ; enfin, en enfantant la logique, Aristote a exterminé la philosophie, et sa métaphysique n’est qu’un recueil d’abstractions creuses, de classifications arbitraires, et de misérables subtilités. Quand on parle ainsi, ou on est sa propre dupe, ou on prétend duper les autres. Si l’on affiche un pareil mépris pour de grandes intelligences, afin de donner de soi une plus haute idée, le calcul est aussi faux que misérable ; si, au contraire, celui qui parle ainsi a le malheur, dans cette circonstance, de penser ce qu’il dit, évidemment son esprit, tout en se montrant sur certains points sain et vigoureux, sur d’autres est faible et malade.

On comprendra maintenant de quelle immense ambition est possédé M. Bordas-Demoulin. Il proclame sans détour que, s’il a pu juger le XVIIIe siècle, c’est qu’il s’est placé au-dessus de lui, en renouvelant la théorie des idées. Sa prétention en effet est d’avoir trouvé deux théories destinées à changer la face du monde métaphysique, celle de l’infini et celle de la substance. Par quelle manie fâcheuse un homme de talent, au lieu de se contenter de l’estime qui lui est due et que nul ne songe à lui refuser, réclame-t-il d’un ton impérieux la palme du génie ? M. Bordas-Demoulin est un écrivain philosophe distingué ; il doit à de savantes excursions dans les mathématiques et dans la physique d’avoir pu donner de grands aspects à son exposition du cartésianisme ; sa pensée a de la force, et il n’est pas rare de sentir dans son style une passion sincère et contenue qui l’anime et le colore. Ces qualités sont précieuses ; toutefois entre elles et le génie il y a un abîme, et pour le franchir ce n’est pas assez de l’orgueil.

« Archimède, pour tirer le globe terrestre de sa place et le transporter en un autre lieu, dit Descartes dans sa seconde Méditation, ne demandait rien qu’un point qui fût ferme et immobile ; ainsi, j’aurai droit de concevoir de hautes espérances, si je suis assez heureux pour trouver seulement une chose qui soit certaine et indubitable. » Ce point, cette chose, Descartes les a trouvés dans l’es-