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DU CARTÉSIANISME ET DE L’ÉCLECTISME.

comme si celui-ci avait le premier, dans le XIXe siècle, restauré Descartes. Or, depuis près de vingt ans, la philosophie de Descartes est présente à tous les esprits. Pour le prouver, je ne produirai qu’un nom que je ne prendrai pas parmi les vivans ; c’est celui de Jouffroy. Qui plus tôt, qui plus souvent et mieux parla de Descartes ? Dans un remarquable fragment édité en 1825, sur le spiritualisme et le matérialisme, Jouffroy, traitant d’une manière approfondie de la révolution philosophique du XVIIe siècle, disait : « Le Discours sur la Méthode est la préface de la philosophie moderne ; les Méditations en sont le premier chapitre. ». Il faut donc que M. Huet renonce pour M. Bordas-Demoulin à la gloire d’avoir découvert Descartes.

Pourquoi M. Huet a-t-il cru nécessaire de se faire l’introducteur de M. Bordas-Demoulin dans le monde philosophique ? Il nous semble que le suffrage de l’institut était le meilleur des laisser-passer. D’ailleurs on a pu remarquer que les assertions de M. Huet ont besoin d’être contrôlées. Dans un discours préliminaire, il insiste sur la nécessité de la réformation de la philosophie, et il nous indique le réformateur : c’est M. Bordas-Demoulin. Avant de vérifier l’exactitude d’une proposition aussi énorme, nous dirons un mot, un seul, sur le morceau composé par M. Huet, ancien élève de l’Université de Paris, aujourd’hui professeur à Gand. Dans le domaine de la science et de la pensée, nous concevons tous les désirs de rénovation qui peuvent tourmenter surtout de jeunes esprits aspirant avec ardeur au vrai. Rien d’étonnant, si les solutions données ne les satisfont pas et si une invincible inquiétude les pousse à se frayer des voies nouvelles. Mais la première condition de ces révoltes et de ces mouvemens est une complète indépendance. La cause de la philosophie ne compose pas avec des intérêts d’un autre ordre, et elle est étrangère à tout autre sentiment que la sainte ambition des idées. Il peut être fort avantageux à M. Huet, qui professe aujourd’hui à Gand sous la haute surveillance du catholicisme belge, de parler comme il l’a fait du péché originel et de tonner contre le rationalisme ; seulement nous n’aurons pas la simplicité de prendre cette tactique, cette souplesse pour les symptômes d’un mouvement scientifique dont il y ait à tenir compte.

Descartes fut admiré et suivi par son siècle, non parce qu’il s’insurgea contre Aristote, d’autres l’avaient fait avant lui, mais parce qu’à la philosophie dont il vint prononcer la déchéance il substitua sur-le-champ un système complet. Il se trouva que l’homme qui nia toute la science reconnue de son temps, avec une si inflexible clarté,