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briété que celui de Jouffroy ait consenti si long-temps à s’effacer devant les écossais, qui, à coup sûr, ne lui étaient pas supérieurs. Quoiqu’il en soit, l’école d’Édimbourg fut la première pierre de l’éclectisme.

La seconde fut le kantisme. Cette fois, l’enseignement que nous demandions à la raison philosophique d’un autre peuple était vraiment substantiel. Jusqu’à quel point l’esprit humain a-t-il le droit d’être dogmatique ? Telle est la question fondamentale approfondie par Kant, et dont l’examen était opportun pour le génie français en quête d’un système. Dans le pays de Kant, on profita de ses Critiques sans s’arrêter à ses conclusions, qui inclinaient trop au scepticisme. Tout en procédant du philosophe de Kœnigsberg, Fichte, Schelling et Hegel se crurent en droit de le contredire, en fondant un dogmatisme nouveau. Nous regrettons qu’une fois engagé dans l’examen de la pensée allemande, l’éclectisme n’ait pas outrepassé l’étude de Kant. Il s’est arrêté à l’exposition du drame métaphysique joué au-delà du Rhin.

Il n’est pas fort surprenant qu’au sein de l’éclectisme on n’ait songé à Descartes qu’après avoir étudié Reid et Kant. Dans les premiers momens de la réaction contre Condillac, on manquait de la force nécessaire pour atteindre jusqu’au cartésianisme, et ce ne fut qu’un peu plus tard qu’on put sentir la valeur du spiritualisme du XVIIe siècle. En 1824, M. Cousin commença de publier une édition complète de Descartes. Depuis cette époque, Descartes a été l’objet d’une attention persévérante de la part de tous ceux qui font de la philosophie une sérieuse étude. Sur ce point, il y a eu abondance d’analyses, d’expositions, d’appréciations partielles, de jugemens généraux. Enfin, il y a deux ans, l’Académie des Sciences morales, où domine l’éclectisme, mit la question du cartésianisme au concours. Elle demanda qu’on déterminât le caractère et qu’on recherchât les conséquences de la philosophie de Descartes, qu’on appréciât particulièrement l’influence de ce système sur celui de Spinoza et celui de Malebranche, qu’on assignât le rôle et la place de Leibnitz dans le mouvement cartésien, enfin qu’on fît la part des erreurs et des vérités dans ce glorieux héritage. Il est évident qu’un pareil programme ne pouvait avoir été tracé que par des hommes ayant fait de Descartes une longue étude et professant sur les questions capitales de son système des opinions arrêtées. Aussi notre étonnement n’a pas été médiocre quand nous avons vu M. Huet, qui s’est fait l’éditeur du livre de M. Bordas-Demoulin, parler de ce lauréat