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saxonne, et ce qu’il comptait faire de sa fameuse brigade irlandaise. On lui a demandé quand il mourrait pour son pays, et quel jour les oppresseurs de l’Irlande auraient occasion de fouler aux pieds son cadavre. Le Standard, d’ordinaire plus modéré, a même été jusqu’à prononcer les mots de lâcheté puante. C’est encore là mal connaître et mal juger O’Connell. O’Connell (et il n’est pas le seul) a pour principe que les paroles d’hier ne doivent avoir aucune influence sur celles d’aujourd’hui, et que ce qu’il y a de plus absurde au monde, c’est de vouloir être et paraître conséquent. Dire chaque jour ce qui convient à la situation, voilà sa règle et sa loi. C’est ce qui fait qu’il passe si facilement de l’éloge à l’injure, et que les mêmes hommes sont successivement dans sa bouche, sans qu’ils aient changé, excellens et détestables. C’est ce qui fait que tour à tour il menace et prie, prêche pour l’agitation et pour le repos, employant selon les temps et les lieux un langage violent ou modéré. C’est ce qui fait, en un mot, que lorsqu’une conduite ne lui semble plus applicable, il en prend une autre, sans embarras et sans hésitation, sauf à revenir plus tard à la première. Cela sans doute a de graves inconvéniens ; mais il ne faut pas oublier ce qu’est O’Connell, ce qu’il tente et sur qui il doit agir. Il ne faut pas oublier surtout que, s’il y a peu d’unité dans son langage et sa conduite de chaque jour, il y en a une admirable dans sa vie, consacrée tout entière à l’émancipation de son pays. On a vu certes dans le monde des patriotes dont les actes et les paroles inspiraient au premier abord plus de sympathie, plus de respect ; on en a vu qui savaient mieux veiller sur eux-mêmes et se maintenir irréprochables : qu’on en cite un seul qui par des moyens purement pacifiques ait tant fait pour ses concitoyens, tant fait pour la cause de la justice et de la civilisation ! Pour moi, je l’avoue, je ne me sens pas le courage de relever les fautes d’un tel homme. Je me reproche bien plutôt, après avoir eu l’honneur de le voir de près en 1826, de ne l’avoir pas alors estimé à toute sa valeur et placé assez haut.

Si, comme à Clontarf, O’Connell réussit toujours à contenir des passions frémissantes et à présenter constamment à l’Angleterre le spectacle d’une force immense qui se modère, O’Connell d’ailleurs aura donné une preuve de sa puissance plus grande et plus belle que toutes les autres, et, loin de perdre du terrain, il pourra bien en gagner. Qu’on voie déjà ce qui se passe. Depuis le procès, pas un de ses soldats n’a déserté, et plusieurs hommes distingués sont venus se joindre à lui, entre autres M. O’Brien, membre du parlement