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Russie. John Bull est assez entêté, mais quand il a peur il est de bonne composition. En 1782, les volontaires demandèrent, d’une certaine façon, l’indépendance de la législature irlandaise. John Bull comprit et céda. En 1792, quand Billy Egan présenta une pétition en faveur des catholiques, cette pétition fut d’abord jetée ignominieusement à la porte de la chambre ; mais peu de temps après Dumouriez vainquit à Jemmapes, et John Bull s’empressa de faire quelque chose pour les catholiques. L’histoire d’Angleterre est pleine de semblables exemples. L’Irlande est lasse de l’oppression saxonne ; qu’elle le dise bien haut, et l’oppression saxonne disparaîtra. Après tant de siècles d’esclavage, il est temps enfin que l’Irlande appartienne aux Irlandais. » Qu’on ajoute à cela un art merveilleux pour dresser successivement les hustings sur tous les lieux qui pouvaient réveiller dans le cœur de l’Irlande quelques souvenirs de victoire ou de massacre ; qu’on ajoute aussi des précautions infinies pour se mettre en règle avec la loi, et l’on aura une idée assez exacte de la conduite et du langage d’O’Connell pendant cette période de l’agitation.

Après avoir dénoncé l’union comme inique et funeste, il restait à O’Connell un dernier pas à faire : c’était de la déclarer nulle et non obligatoire. Ce dernier pas, le plus décisif de tous, il le fit au meeting de Tara, en présence d’un concours immense de peuple, sur une colline où la tradition dit que les rois d’Irlande étaient jadis élus et prêtaient serment de défendre leur terre natale contre les Danois ou tous autres étrangers. Du haut de cette colline sainte, O’Connell, au nom de Dieu, proclama donc la nullité de l’union, 1o parce que le parlement irlandais n’avait pas plus le droit d’abdiquer en faveur de l’Angleterre qu’en faveur de l’Amérique ou de la France ; 2o parce que pour arracher l’union au pays, il a fallu fomenter des insurrections, anéantir le droit de pétition, dépenser 3 millions 275,000 liv. sterling ; 3o parce qu’elle a chargé l’Irlande d’une dette qui n’était pas la sienne, parce qu’elle a détruit le commerce et l’industrie, parce que les Anglais, qui jamais n’ont tenu leurs promesses, ont manqué aux conditions même qu’ils avaient dictées ; parce qu’aujourd’hui encore elle impose à la majorité du peuple irlandais le paiement d’un culte qu’il ne croit pas vrai. Puis, s’adressant à la multitude qui l’entourait : « Que ceux, s’écria-t-il, qui croient l’union nulle veuillent bien lever la main. » Il va sans dire que toutes les mains se levèrent, et que l’assemblée se sépara au milieu du plus vif enthousiasme.

C’est là ce qu’on peut appeler la troisième période de l’agitation. À dater de ce jour, aux menaces, aux injures contre le Saxon, se