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et répondait chaque jour aux discours parlementaires et aux articles de journaux. C’est là qu’il versait l’impôt volontaire du rappel, impôt toujours croissant, et qui, de 100 livres sterling à peu près par semaine, ne tarda pas à monter jusqu’à plus de 2,000. C’est de là enfin qu’il partait pour aller, dans l’intervalle de deux séances, présider sur divers points du pays à quatre ou cinq meetings, et prononcer huit ou dix discours. Puis c’est là qu’il revenait raconter ce qu’il avait fait, et étonner ses amis comme ses ennemis par le spectacle de sa merveilleuse activité.

Il serait impossible de suivre O’Connell dans les trente-sept meetings auxquels il assista dans l’espace de quatre mois environ ; mais au milieu de diversités nombreuses, il y a dans ces meetings quelque chose d’invariable qu’il est facile de faire ressortir. Ainsi ce sont toujours des populations immenses qui se pressent sur le passage d’O’Connell ; ce sont des feux de joie qui brillent sur les montagnes à son approche ; ce sont des arcs-de-triomphe et des couronnes qui l’attendent ; ce sont des processions et des cavalcades avec musique et drapeaux qui se portent à sa rencontre ; puis ce sont deux réunions, l’une en plein air, dans un lieu consacré autant que possible par quelque souvenir historique, l’autre à table, sous une vaste tente décorée d’emblèmes nationaux. Ce sont enfin deux discours du libérateur qui roulent toujours sur le même sujet et s’adressent aux mêmes passions. O’Connell en effet n’est point un littérateur qui s’inquiète du jugement des connaisseurs et qui craint de se répéter. C’est à la fois un tribun qui veut remuer le peuple, un avocat qui veut mettre la loi de son côté. Le peuple et la loi, voilà ses deux pensées, celles qui le préoccupent uniquement. De là un mélange singulier de violence et de prudence, de passion et de sang-froid, d’emportement et de retenue ; de là aussi une certaine uniformité, soit dans les moyens qu’il emploie, soit dans les paroles qu’il prononce. S’il a trouvé une allusion qui a porté coup, un mouvement qui a réussi, un mot qui a frappé juste et fort, pourquoi ne s’en servirait-il pas une seconde fois en présence d’un auditoire nouveau ? Mais en même temps quelle verve admirable, quelle riche imagination, quel esprit fécond et vigoureux ! Pas une circonstance locale qu’il n’exploite, pas un incident dont il ne tire parti, pas une interpellation partie de la foule qu’il ne relève et ne tourne à son profit. On lui reproche quelquefois d’être trop poétique dans ses descriptions, trop déclamatoire dans ses imprécations, trop bouffon dans ses plaisanteries, trop injurieux dans ses attaques ; mais on oublie qu’il