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solue, mais qu’il n’était pas encore nécessaire de solliciter de nouveaux pouvoirs. Ce fut le premier coup frappé par le gouvernement. Le second consista dans la révocation de plusieurs juges de paix qui avaient assisté et pris part à des meetings en faveur du rappel. Puis, cela fait, le cabinet se croisa les bras et mit la tête à la fenêtre, attendant que le feu s’éteignît de lui-même, et que l’agitation tombât. Mais il s’en faut que son parti tout entier éprouvât la même quiétude.

Dès ce moment, on put remarquer parmi les tories deux tendances bien distinctes, celle des hommes modérés qui approuvaient la conduite du ministère et comptaient sur le temps, celle des hommes plus ardens qui appelaient à grands cris des mesures énergiques. Quant aux whigs, c’est avec une joie mal déguisée qu’ils aperçurent enfin en Irlande un sujet sérieux et durable d’opposition. On les vit donc d’une part reprendre leur ancien thème et comparer l’Irlande sous lord Melbourne à l’Irlande sous sir Robert Peel, de l’autre chicaner le cabinet soit sur l’emploi du nom de la reine dans le débat, soit sur la révocation des juges de paix avant qu’aucun avis préalable leur eût été donné. À ce sujet, la légalité même des meetings fut à plusieurs reprises débattue dans les deux chambres, et toujours résolue d’une manière affirmative. « Quant au rappel de l’union, dit lord John Russell, sans que sir Robert Peel le contredît, c’est une question ouverte au débat et sujette à révision, comme tous les actes de la législature. » À la chambre des lords, lord Campbell et lord Clanricarde parlèrent dans le même sens, et le duc de Wellington resta, comme sir Robert Peel, silencieux sur son banc.

L’attitude et le langage des journaux, un seul excepté, furent, avec plus de vivacité, ceux du parti qu’ils représentent. Selon le Standard, organe spécial du cabinet, l’agitation irlandaise était peu à craindre, et il eût suffi des deux comtés protestans de Down et d’Antrim pour la mettre à la raison ; mais il valait mieux la laisser s’user d’elle-même. Selon le Morning-Post, organe des ultra-tories, tout tenait à la politique inerte et faible du ministère. Selon le Morning-Chronicle, organe des whigs, la chute de lord Melbourne avait produit tout le mal. Selon le Sun, organe des radicaux, les demi-mesures ne pouvaient plus suffire, et, pour rétablir l’ordre en Irlande, il fallait détruire l’église établie et effacer ainsi la grande tache (the great blot) dans ce pays. Quant au Times, qui plus tard devait plus que le Morning-Post pousser aux mesures violentes, il publia alors plusieurs articles que les whigs, et même les radicaux, n’auraient pas désavoués. « Quand sir Robert Peel, dit-il, est arrivé aux affaires,