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REVUE DES DEUX MONDES.

Il y a des quartiers dans Londres qui renferment un plus grand nombre de pauvres[1], car White-Chapel, attenant par un bout à la Cité, reçoit les miettes qui tombent du festin commercial ; et comme ce district longe en outre la Tamise, les bras oisifs trouvent assez facilement de l’emploi sur le port. Mais il n’est pas de lieu plus malsain, dans lequel la mortalité fasse plus de victimes, ni où ceux qui survivent soient laissés dans une pire condition. Par un de ces contrastes auxquels l’esprit humain se plaît, les rues de White-Chapel ont reçu les noms les plus rians. Parcourez la carte de Londres ; en mettant le doigt sur ce quartier, vous en trouverez vingt exemples : la rue de la Rose, la rue de la Fleur, du Champ Vert, de la Mode, de la Perle, de l’Agneau, l’allée de l’Ange, la cour du Berger. Ces étiquettes charmantes ont été presque invariablement attachées aux endroits les plus affreux. Dans certains cas, on n’a pas même respecté la gloire. Ainsi, un cloaque infect dans lequel se déchargent les égouts du voisinage à Bethnal-Green, et qui couvre une étendue de trois acres, est appelé l’étang Wellington.

Transportez à White-Chapel une colonie de Hollandais lavant et nettoyant du matin au soir, aussi amoureux de l’ordre et de la propreté que ses étranges habitans le sont du désordre ignoble qui semble être leur élément, et vous n’aurez encore rien fait. De tels foyers d’infection résistent à l’énergie des efforts individuels, et sollicitent l’intervention d’un gouvernement. Tout accuse ici l’incurie de l’administration ; on dirait une de ces villes du moyen-âge, que les magistrats entouraient de murailles pour les protéger contre l’ennemi extérieur, mais qu’ils livraient, faute d’entretien, dans leur naïve ignorance, à l’action meurtrière des épidémies. Les dernières maisons de la Cité dérobent, en manière de remparts, les rues de White-Chapel ; on n’y pénètre qu’à travers des passages tortueux pratiqués sous des voûtes ou entre les murs humides des cours ; c’est une ville entière exclusivement réservée aux piétons.

Depuis que la fièvre a décimé la population, l’on s’est décidé à construire des égouts dans les rues principales, et quelles rues ! mais l’enlèvement des immondices ne s’opère encore qu’une fois par semaine ; on les entasse pendant sept jours sur la voie publique, qui se couvre ainsi d’un lit permanent de fumier. Suivez ces rues étroites, qui sont les grandes artères de la circulation ; à droite et à gauche,

  1. En 1838, White-Chapel comptait 5,856 pauvres secourus sur 64,141 habitans.