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sa puissance ; la phrase du Maure, reprise ensuite à l’unisson par les voix et le chœur, a aussi de la grandeur et de l’entraînement. C’est un peu toujours, si l’on veut, la coupe du finale de Lucia, avec cette différence médiocrement avantageuse pour l’Opéra, qu’ici M. Massol remplace Tamburini ou Ronconi. Mais quel maître n’a sa forme de prédilection à laquelle il revient sans cesse ? quel musicien, même parmi ceux qui se consument à filer un son avec la patience laborieuse du ver à soie, possède donc deux idées aujourd’hui ? Nous ne dirons rien du cinquième acte, sinon que c’est un opéra-comique des plus guillerets ; le poème voudrait bien continuer à chanter sur le même ton dithyrambique et lugubre, mais le musicien est à bout des épouvantemens, et se met le plus gaiement du monde à folâtrer sur la coudrette. La stretta du duo entre Sébastien et Zaïda se débattant tous deux sous le coup de la mort est d’une expression telle, qu’elle conviendrait à merveille aux personnages bouffes de l’Élisir d’Amore, et cette tragédie si pleine de deuil et de funérailles se termine, comme le Barbiere di Siviglia, par une espèce de canon qui se chante sotto voce en préparant la classique échelle de cordes :

Non faciamo confusione ;
Per la scala del balcone, etc.

Tant il est difficile à un maître italien de garder son sérieux quatre heures de suite !

Le lendemain du jour où l’Académie royale de musique représentait Dom Sébastien, le Théâtre-Italien donnait par la mise en scène de Maria di Rohan une nouvelle occasion de triomphe à l’heureux maestro. La partition composée pour Vienne et l’œuvre écrite pour Paris se rencontraient sur le terrain de la discussion, et, tout bien considéré, nous ne pensons pas que Paris ait sujet de se montrer jaloux. Si Maria di Rohan peut faire valoir un très beau troisième acte, on a pu voir que Dom Sébastien avait de quoi lui répondre, et pour le reste de la partition italienne il tombe dans la catégorie des ouvrages de pacotille, et n’a dû trouver merci aux yeux du public viennois que par cette habileté de main si remarquable déjà dans Linda di Chamouni, et qui n’abandonne jamais M. Donizetti. Sans tomber ici dans le lieu commun des reproches qu’on adresse journellement à la fécondité du maître de chapelle de l’empereur d’Autriche, ne peut-on regretter que cette veine intarissable ne cherche pas à se concentrer davantage, et, qu’on nous passe le mot, que cet esprit si musical s’étende ainsi d’eau claire ? Nul ne songe à imposer à M. Donizetti des conditions de patience et de laborieuse application qui ne sont ni dans ses habitudes ni dans le génie de son pays ; mais serait-ce donc trop exiger de sa nature que de lui demander de ne pas se dédoubler comme elle fait depuis trois ou quatre ans ? Ainsi voilà deux partitions d’un mérite incontestable auxquelles il n’a manqué, pour être des œuvres d’un rang supérieur, qu’un peu de conscience et de temps. Rassemblez sur un point la somme de talent dépensée dans Maria di Rohan et Dom Sébastien, et vous aurez une œuvre de la trempe de Lucia. Or, il reste à savoir si une œuvre comme la