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REVUE. — CHRONIQUE.

plus à opter, pour le clergé, qu’entre l’abaissement et la liberté absolue. En lui conseillant le parti de la liberté, M. de Lamartine ne recule pas devant les conséquences toutes naturelles du principe. Il est trop évident en effet que le clergé ne pourrait briser tous les liens qui le rattachent à l’état qu’en renonçant aux avantages particuliers qu’il en retire, et en rentrant en tout et pour tout dans le droit commun. Si nous ne nous sommes pas mépris sur sa pensée, on dirait que M. de Lamartine conseille à notre clergé de se placer vis-à-vis de l’état dans la situation où se trouve le clergé catholique d’Irlande, ou mieux encore le clergé des États-Unis.

Nous le dirons : si c’est là la conclusion définitive des doctrines de M. de Lamartine, la question entre lui et ses contradicteurs n’est plus qu’une question purement spéculative, car certes il n’y a rien là de pratique et de possible chez nous. C’est un système que les ouailles et les pasteurs repousseraient également. Pour l’essayer, il faudrait autre chose qu’une loi, il faudrait une révolution, et cette révolution ne serait pas durable, car, au lieu d’être l’expression, la réalisation de la pensée du pays, elle en serait le contre-pied.

M. de Lamartine s’est laissé éblouir, ce nous semble, par l’éclat de ses brillantes antithèses. Ce qui n’est que divers lui paraît opposé, ce qui présente quelques difficultés d’agencement lui paraît impossible à rapprocher et à joindre, comme si le sentiment religieux que l’église développe et le sentiment de l’ordre qui fonde et conserve les états n’étaient pas l’un et l’autre des élémens de notre nature, des dons que la Providence nous a octroyés ; comme si l’état et la religion, la vie civile et la vie spirituelle, n’étaient pas à l’homme deux moyens de perfectionnement, deux voies tendant vers le même but, qui est le bien.

Sans doute l’homme est un être mixte : Dieu l’a voulu ainsi. Notre dualité se retrouve toujours et partout ; dans l’individu, dans la famille, dans l’état. En nous faisant le tableau des manifestations de notre double nature, en nous montrant comment se distinguent la foi et la raison, la philosophie et la religion, la vie civile et la vie spirituelle, l’église et l’état, M. de Lamartine nous a prouvé que les admirables harmonies de sa parole peuvent s’appliquer à toute chose, mais il n’a rien dit et ne pouvait rien dire de neuf. La religion et la philosophie, chacune dans la mesure et selon la méthode qui lui appartient, nous avaient depuis long-temps initiés à cette partie des mystères de notre nature que la main de Dieu n’a pas couverte d’un voile absolument impénétrable pour l’homme. Notre dualité nous est connue, et si le bien nous est caché, le fait de l’union des deux principes est certain pour nous. Faut-il en conclure que l’homme doit violemment disjoindre ce que Dieu avait uni, et que les deux principes doivent marcher dans des voies opposées ? Parce que leur accord est difficile, faut-il en faire deux ennemis ? Ce serait là un acte de désespoir, et cet acte de désespoir ne résoudrait point la difficulté ; à peine la reculerait-il de quelques instans : car le tour du cercle est vite fait, et les deux principes qui se seraient mis en