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aussi des ravages dans leurs rangs. Ils ont les goûts qui tiennent au développement de l’intelligence, sont grands lecteurs de journaux, cultivent les fleurs, et se réunissent le soir dans des clubs où ils reçoivent des leçons d’arithmétique, de géographie, d’histoire et de dessin. Quand ils commencèrent à peupler Spitalfields, Londres ne s’étant pas encore étendu jusque-là, ils avaient de l’espace autour d’eux et faisaient admirer des Anglais les plates-bandes de tulipes qui croissaient dans leurs jardins. À ces habitudes méditatives ils joignaient alors une ardeur martiale qui se signalait par des révoltes fréquentes, et à laquelle le parlement lui-même fit la concession d’un tarif obligatoire des façons par l’acte de 1773, appelé acte de Spitalfields. Depuis, les jardins ayant disparu sous une masse de briques, et les rues ayant été tracées, à mesure que la population débordait, sans aucune des précautions qu’exige l’assainissement des villes, peut-être aussi sous l’influence d’une occupation sédentaire qui se prolonge souvent quinze à seize heures par jour, la vigueur physique de cette race a décliné. « La taille des tisserands, dit l’un d’eux, M. Bresson, dans l’enquête de 1840, est généralement peu élevée et rabougrie. Durant la guerre, on leva une brigade parmi eux ; mais la plupart des soldats avaient moins de cinq pieds. On ne trouverait plus même aujourd’hui, à Spitalfields, de quoi faire de la chair à canon. « La constitution de ces hommes, dit le docteur Mitchell, dégénère ; la race entière descend rapidement à la taille des Lilliputiens. Les vieillards sont d’une plus forte complexion que les jeunes gens. »

Comment les enfans grandiraient-ils ? Dès leur bas age, ils sont courbés sur un métier, lançant la navette treize à quatorze heures par jour ; c’est là le seul exercice que prennent ces malheureux, qui respirent rarement un air libre, et qui ne voient jamais le soleil qu’à travers les fenêtres de leurs tristes réduits. Dans une visite que je fis à Spitalfields en 1836, apercevant une petite fille de onze ans, pâle et mélancolique, qui tissait avec une activité fébrile, je demandai au père : « Combien d’heures travaille cet enfant par jour ? — Douze heures, me répondit-il. — Et vous n’avez pas peur d’excéder ses forces ? — Je la nourris bien. » Quelle autre réponse eût-il faite pour une bête de somme ? Et pourtant, quand on veut avoir un cheval de course, on attend qu’il ait pris sa croissance, avant de le monter.

    rable à la moralité que beaucoup d’autres occupations, parce que les enfans sont élevés à la maison, sous les yeux de leurs parens. » (Déposition de M. Bresson, enquête sur les tisserands, 1840.)