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LES AFFRES DE LA MORT.


Vois-toi transi, brûlé de fièvre,
Tordu comme un bois vert au feu,
Le fiel crevé, l’ame à la lèvre,
Sanglotant le suprême adieu,

Entre deux draps, dont l’un doit être
Le linceul où l’on te coudra ;
Triste habit que nul ne veut mettre,
Et que pourtant chacun mettra.

En pensée, écoute le râle,
Bramant comme un cerf aux abois,
Pousser sa note sépulcrale
Par ton gosier rauque et sans voix.

Le sang quitte tes jambes roides,
Les ombres gagnent ton cerveau,
Et sur ton front les perles froides
Coulent comme au mur d’un caveau.

Les prêtres à soutane noire,
Toujours en deuil de nos péchés,
Apportent l’huile et le ciboire,
Autour de ton grabat penchés.

Tes enfans, ta femme et tes proches
Pleurent en se tordant les bras,
Et déjà le sonneur aux cloches
Se suspend pour sonner ton glas.

Le fossoyeur a pris sa bêche
Pour te creuser ton dernier lit,
Et d’une terre brune et fraîche
Bientôt ta fosse se remplit.

Ta chair délicate et superbe
Va servir de pâture aux vers,
Et tu feras pousser de l’herbe
Plus drue avec des brins plus verts.

Donc, pour n’être pas surpris, frère,
Aux transes du dernier moment
Réfléchis ! La mort est amère
À qui vécut trop doucement.

Th. Gautier.