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ÉTUDES SUR L’ANGLETERRE.

affiche de vente à son castel, dans l’espérance que quelque acquéreur se transformera en mari. Or, un beau jour, il arrive deux visiteurs coup sur coup, l’oncle et le neveu, l’oncle qui cherche une petite maison pour une actrice à laquelle il s’intéresse, le neveu qui fuit les recors que l’oncle a mis à sa poursuite. Le neveu toutefois a l’avantage ; il est en pays de connaissances, il a aimé la jeune fille autrefois, il lui a été infidèle, mais il l’épouserait volontiers, même à la condition de ne plus faire la cour aux actrices que cultive son oncle. Là-dessus commence un quiproquo, un imbroglio, qui dure pendant deux cents pages. Le neveu a pris le nom de l’oncle, l’oncle a pris le nom du neveu. Aussi, quand les recors arrivent, c’est le créancier qu’ils arrêtent. À la fin pourtant tout s’explique. Le neveu a peur des huissiers, l’oncle a peur de sa femme, le fabricant de lampes veut se délivrer de sa nièce. On en est quitte pour deux dots, et le mariage des jeunes gens a lieu.

À la rigueur, tout cela eût pu faire un petit acte assez égrillard pour une scène secondaire : M. Soulié n’en a pu tirer un volume qu’à coups de dialogue et à grand renfort de descriptions. On aurait eu un vaudeville assez drôle, on n’a qu’un trivial et piteux roman.

Tel est le bilan littéraire de nos deux romanciers les plus actifs durant ces derniers mois. Devant de pareils résultats, les conclusions ressortent d’elles-mêmes ; nous les avions indiquées d’avance, et les faits n’ont que trop justifié nos assertions. Évidemment M. de Balzac et M. Frédéric Soulié, comme la génération tumultueuse dont ils sont les représentans, perdent tous les jours du terrain. Cette popularité qui arriva à son comble avec les Scènes de la Vie parisienne et avec les Mémoires du Diable, cette popularité aujourd’hui retire d’eux son flot passager et va battre avec fracas d’autres rivages, qui bientôt seront abandonnés à leur tour. Or, la mission de la critique est de suivre le succès et de le juger ; c’est donc devant lui qu’elle doit transporter sa tente : il est clair que le danger n’est plus où il était naguère, et que la vogue s’attache à d’autres noms. C’est l’engouement des lecteurs, ce sont leurs capricieuses faiblesses qu’il importe surtout de combattre ; mais quand le public en arrive à faire justice lui-même des fantaisies maladives qui l’ont un instant égaré, notre mission est finie : le devoir nous appelle ailleurs. On le sait, la nature des réactions est d’être impitoyables, et il n’y a pas de plus cruels ennemis que les anciens amis. Aussi il serait piquant qu’un jour ceux-là même qui ont attaqué le succès exagéré d’hier fussent amenés à protester contre l’indifférence absolue de demain. Nous n’en serions pas étonné, et, dans une certaine mesure, ce rôle nous trouverait fidèle, parce qu’il serait juste.


F. de Lagenevais.