Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/83

Cette page a été validée par deux contributeurs.
77
WHITE-CHAPEL.

secrétaire de la commission des pauvres, M. Chadwick. Ces lamentables récits, dépassant tout ce que la plus sombre imagination pourrait inventer, ne devaient pas être accueillis sans contrôle. Bien qu’ils portent, à chaque ligne, le cachet de la plus parfaite sincérité, il y a des horreurs que l’on se refuse à croire, à moins de les avoir soi-même constatées. J’ai donc voulu voir les mauvais quartiers de Londres. J’ai fait cette reconnaissance au mois de juillet dernier, sous la direction du docteur Southwood-Smith, un de ces hommes rares qui ont la main à la pratique et l’œil à la science, et celui qui fut chargé de vérifier, en 1838, de concert avec le docteur Kay-Shuttleworth, dans quel état de dégradation physique une partie de la population de Londres était tombée. Notre inspection ayant porté principalement sur le district de White-Chapel, le plus négligé peut-être de ceux qu’habitent les parias de la métropole, c’est le tableau que je vais mettre en regard des béatitudes du West-End.

Les trois districts de Spitalfields, de Bethnal-Green et de White-Chapel, situés au nord-est de Londres, forment dans la métropole du royaume-uni une espèce de ville celtique. Près de cent cinquante mille personnes habitent cette colonie, qui s’est accrue par les émigrations successives des ouvriers français, après la révocation de l’édit de Nantes, et des prolétaires irlandais, depuis qu’une famine permanente les chasse tous les ans de leur pays. Puis les juifs, qui recherchent les endroits les plus misérables dans les grandes cités, pour vivre plus librement en vivant inaperçus, sont venus, de tous les points de l’Europe, grossir cette population d’exilés.

Le malheur rapproche communément ceux qui souffrent ; il n’en est pas ainsi dans le East-End. Les descendans des ouvriers français, appartenant à une race plus cultivée, montrent un grand éloignement pour les Irlandais, tribu inculte et adonnée à l’ivrognerie, lesquels, à leur tour, du haut de leur religion, renvoient ce mépris aux enfans d’Israël. Les Français naturalisés, qui ont enseigné à l’Angleterre l’art de tisser la soie, habitent principalement Spitalfields ; ils ont à peu près oublié leur langue originelle, mais leurs noms et leur physionomie parlent pour eux. Ces tisserands composent en quelque sorte l’aristocratie morale du lieu. Leur probité a passé en proverbe, et contraste avantageusement avec la dégradation de leurs voisins immédiats[1], bien que la passion des liqueurs spiritueuses ait fait

  1. « Je préférerais la garantie personnelle d’un tisserand à celle d’un tailleur ou d’un cordonnier pour le loyer d’un métier. Le tissage est, en somme, plus favo-