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pour cause et pour but, et quand il a vaincu ses rivaux ou dompté la matière, il songe plus à jouir du résultat qu’à remercier le ciel. Cette disposition égoïste a produit la science du comfortable, qui n’a rien de commun avec la science du beau ; mais le comfortable atteint presque à la grandeur, lorsqu’il s’administre avec de telles dimensions.

Si l’on veut avoir une idée complète des merveilles que peut enfanter la civilisation moderne envisagée par son côté matériel, il y a deux petits coins de terre qui se recommandent plus particulièrement à l’attention de l’observateur. Je veux parler du boulevart de Gand, vu par une belle soirée de mai, au moment où le gaz éclaire les toilettes dans les allées, et dans les magasins les splendeurs de l’industrie ; lorsque la jeunesse dorée étale ses airs conquérans, et que les équipages de la finance parisienne se dirigent avec fracas vers les deux Opéras. Ou bien encore il faut assister, par une belle après-midi du mois de juin, à l’heure où cessent les affaires dans Londres et avant l’heure aristocratique du dîner, au rendez-vous des promeneurs sur les pelouses de Hyde-Park. Là, pendant que la musique des gardes joue les airs de Rossini ou de Meyerbeer, les dames quittant leurs voitures pour venir s’asseoir sous les arbres, et les cavaliers se rangeant sur plusieurs lignes devant les barrières, on aperçoit réuni tout ce que l’Angleterre a de plus belles et de plus fières ladies, d’hommes d’état en renom, d’héritiers des grandes maisons, et de chevaux pur sang. Pour qui connaît le peuple anglais, il n’y a pas de spectacle qui soit plus propre à exalter son orgueil national.

Hélas ! cet orgueil souffrirait bien cruellement, si, descendant des hauteurs auxquelles l’élève l’oligarchie britannique, il daignait ramener ses regards au niveau du sol. Londres est en effet la ville des contrastes. À côté d’une opulence qui défie toute comparaison, l’on y découvre la plus affreuse ainsi que la plus abjecte misère, et la même cité qui renferme les maisons modèles, les rues coquettes et les squares verdoyans du West-End, contient aussi dans ses profondeurs des masures à demi ruinées, des rues non pavées, sans éclairage et sans égouts, des places qui n’ont d’issue ni pour l’air ni pour les eaux, enfin des cloaques infects que toute autre population n’habiterait pas, et qui, pour l’honneur de l’humanité, ne se rencontrent pas ailleurs.

J’avais lu le rapport publié en 1842, sur l’état sanitaire des classes laborieuses dans la Grande-Bretagne, par l’intelligent et infatigable