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ÉTUDES SUR L’ANGLETERRE.

inégalités qui déparent plusieurs de ces œuvres brillantes, à quelque destinée contraire d’immobilité, de progrès où de décadence que semblent réservés ces talens si divers, il y a assurément dans ce groupe d’élite plus d’un front sur lequel demeurera l’auréole.

Dans la poésie purement lyrique, la littérature française de notre âge l’emporte évidemment sur les écrivains des deux derniers siècles : ainsi la strophe de Lamartine a plus de souffle que celle de J.-B. Rousseau, et l’éclat nous frappe plutôt dans les Feuilles d’Automne que dans les odes de Lamotte ; il faudrait être pessimiste pour préférer une stance de Chaulieu à un couplet de Béranger. Là est notre conquête la plus sûre, conquête vraiment glorieuse, et qui suffira sans doute à sauver notre renommée, que tant de folles ambitions et tant de chutes risqueraient certainement de compromettre aux yeux de l’histoire littéraire. On peut le dire avec assurance, le roman aussi nous fera honneur. Sur ce point, si nous n’avons pas dépassé ceux qui sont venus avant nous, ceux qui ont pour eux l’avantage de la chronologie, nous les avons au moins continués dignement, nous avons repris leurs traditions avec originalité, avec succès ; ce n’est pas tout-à-fait comme au théâtre.

Il est toujours habile de garder ses avantages : de là, selon nous, la nécessité d’un contrôle sévère et continu à l’égard de la poésie lyrique et du roman. Là est le danger aujourd’hui, parce que là était la gloire hier. Par malheur, à cette grande rénovation poétique qui s’était annoncée avec tant d’éclat, il y a vingt ans, et qui déjà même avait élevé plus d’un glorieux monument, succèdent, depuis quelques années, un calme, une atonie, qui ne sont ni sans dégoût ni sans désenchantement. Il faut bien le dire, une décadence marquée (quoique passagère, on doit l’espérer) a envahi bien des talens, entre les plus hauts comme entre les plus humbles, tandis qu’en revanche les monotones tentatives des débutans n’ont pas cessé d’expirer obscurément dans la banalité de l’imitation ou dans les efforts d’une originalité impuissante. À coup sûr, ce n’est pas afficher des goûts misanthropiques et singuliers que de préférer les Méditations à la Chute d’un Ange, ou, pour prendre un exemple moins considérable, les Iambes aux Rimes Héroïques. Je ne veux pas dire qu’il n’y ait point d’exceptions, des exceptions même très éclatantes ; mais, en somme, et sans toucher davantage aux noms propres, on peut dire que la plupart de nos poètes sont loin d’être dans leur phase ascendante. Ce résultat général est incontestable. Aussi, le devoir devient chaque jour plus impérieux pour la critique de se montrer à cet endroit inflexible et vigilante. Puisque les belles inspirations lyriques qui ont fait l’honneur des lettres sous la restauration semblent aujourd’hui toucher à leur déclin, l’heure des complaisances est passée. Il importe d’avertir à temps les talens vrais, et de leur montrer les voies perfides où ils s’égarent ; il importe de repousser sans pitié ceux qui n’ont que les faux airs et les prétentions du génie. Là, peut-être, est le seul remède. Combien ne serait-il point triste, je le demande, d’être entraînés à la suite d’une réaction inintelligente et mesquine, mais légitimée