Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/815

Cette page a été validée par deux contributeurs.
809
ÉTUDES SUR L’ANGLETERRE.

En 1801, la population de l’Angleterre et de l’Écosse réunies était de 10,942,646 habitans ; en 1841, elle s’élevait à 18,535,786 habitans, ce qui représente un accroissement de 69 pour 100 en quarante ans. Aucune contrée en Europe n’a vu sa population monter avec cette rapidité. Selon M. M’Culloch, le commerce extérieur de la Grande-Bretagne, en y comprenant les importations et les exportations, ne s’élevait, au commencement du XVIIIe siècle, qu’à 12 millions sterl. par année. En 1792, le mouvement commercial était déjà de 35 millions. En 1801, il atteignait 71 millions, et 118 millions en 1841. Dans la première période, l’augmentation avait été de 192 pour 100 ; dans la seconde, de 103 pour 100, et dans la troisième, de 66 pour 100 ; 118 millions  sterl. équivalent à 3 milliards de notre monnaie. Les États-Unis seuls ont égalé ce prodigieux déploiement de l’industrie anglaise ; dans la période de 1801 à 1836, leur commerce extérieur s’est élevé de 32 millions sterling à 61.

Ainsi, pendant que la révolution française élaborait les idées, les lois et les méthodes de gouvernement qui devaient plus tard régir l’Europe, les Anglais domptaient la matière et découvraient en quelque sorte le monde industriel. Aujourd’hui, l’Europe entière vit de leurs procédés ainsi que de nos opinions. Une émulation qui par malheur est bien voisine de l’envie, tient tous les peuples en éveil.

C’est à qui fabriquera du fer, des machines, des fils et des tissus. On emprunte à l’Angleterre ses machines ; on lui dérobe ses inventions et jusqu’à ses ouvriers, et l’on repousse en même temps ses produits du marché européen, dont chaque nation prétend se réserver une parcelle privilégiée à l’aide des tarifs protecteurs.

Dans cette lutte insensée, l’Angleterre a pu éprouver temporairement quelque gêne et quelque malaise ; mais la supériorité de ce peuple, en matière d’industrie, repose sur des bases trop solides pour que la concurrence extérieure puisse l’ébranler. L’accumulation des capitaux, l’expérience des manufacturiers, l’habileté des ouvriers, le bas prix du fer et l’abondance du charbon sont des élémens de succès qui garderont leur poids. La Providence n’a pas voulu que toutes les nations produisissent toutes choses ; elle a divisé le travail entre les peuples, afin de faire régner entre eux l’harmonie. C’est une vérité contre laquelle ne prévaudra ni l’égoïsme de quelques intérêts particuliers, ni l’aveuglement des préjugés nationaux.


Léon Faucher.
La suite au prochain numéro.