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WHITE-CHAPEL.

taines plantes suivent le soleil. Les rues ont une largeur monumentale et se coupent presque partout à angle droit. Les maisons ont peu d’élévation et n’interceptent ainsi ni les rayons qui réchauffent l’atmosphère, ni les vents qui viennent la rafraîchir ; souvent elles sont séparées du trottoir par des bouquets d’arbres et de fleurs qui en font autant de villas. Les places publiques n’offensent pas les yeux comme à Paris par la nudité de leurs dalles brûlantes en été, enfouies dans la boue en hiver. Quelque grand jardin, protégé par une grille en fer, en occupe le centre, et présente un tapis vert encadré de beaux arbres, où les petits enfans du voisinage s’essaient à marcher. De là viennent sans doute les idées champêtres qui remplissent l’imagination des jeunes filles en Angleterre. Comment ne rêveraient-elles pas des eaux, des prairies ou des bois, ayant, même au sein de Londres, cette bucolique perpétuelle sous les yeux ?

Dans ces demeures, où le luxe consiste, non pas en ameublemens splendides, mais en nombreux domestiques et en dispositions commodes, tout a été calculé pour épargner aux riches de la Grande-Bretagne même le malaise que faisait éprouver au Sybarite une feuille de rose cachée dans les draps de son lit. Ils n’entendent point de bruit, car les voitures glissent légèrement, devant leur porte, sur des chaussées macadamisées. Tout ce qui peut blesser la vue ou l’odorat a été éloigné des rues principales ; les écuries sont placées dans des allées étroites (lanes), derrière les maisons ; et s’il y a des pauvres dans ces quartiers, comme on a honte d’eux et comme on ne veut pas subir leur contact, ils vont se cacher au fond des ruelles intérieures avec les palefreniers et avec les chevaux.

À ne voir que le West-End, Londres est sans contredit la cité la plus belle et la plus salubre du monde. Quand on y entre par Portland-Place, par Oxford-Street ou par Piccadilly, en longeant cette admirable chaussée que bordent d’un côté les prairies de Green-Park et de l’autre Hyde-Park avec ses allées, que traversent à toute heure de splendides équipages et de brillans cavaliers, on se demande si les voies romaines qui partaient de la ville des Césars pour la joindre aux pays conquis, pouvaient avoir plus de grandeur. Sans doute, la qualité de cette grandeur n’est pas la même. À Rome, la voie Appienne était chargée d’arcs de triomphe et comme habitée par les temples élevés aux dieux ; le peuple, en s’enrichissant des dépouilles étrangères, rapportait quelque chose de ses succès et de sa gloire à l’intervention divine, et l’art naissait sous l’inspiration du sentiment religieux. En Angleterre, l’homme se prend lui-même