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hommes. Si l’on excepte le dôme de Saint-Paul, isolé parmi ces masses uniformes de briques, rien n’annonce, à une certaine distance, les magnificences qu’une cité de deux millions d’hommes, que la ville la plus riche et la plus gigantesque de l’Europe, que la tête de l’empire britannique doit étaler aux yeux.

À juger par les apparences extérieures, Londres serait l’asile par excellence de la démocratie. Des maisons pareilles, des rues qui n’ont aucun caractère distinctif ; peu ou point de palais ; pas un sommet qui dépasse l’autre ; partout une médiocrité régulière d’architecture que l’on croirait ne pouvoir convenir qu’à une population de Chinois. Joignez à cela que les quartiers de Londres ne paraissent pas être liés entre eux comme les diverses parties d’un tout. Ce sont des villes juxtaposées qui remplissent des destinations différentes, dont aucune n’a les mêmes besoins, et qu’il faut relier entre elles, comme les campagnes, par des bateaux à vapeur omnibus et par des chemins de fer intérieurs, tels que le Blackwall et le Greenwich. On conçoit que, dans l’amertume de sa misantropie républicaine, Cobbet ait comparé cette excroissance du pays à une monstrueuse tumeur.

Mais quand on pénètre dans Londres, en étudiant les principales artères de la circulation, l’on reconnaît bientôt qu’il se fait entre les divers quartiers une véritable division du travail social, et l’ordre se révèle au sein de ce chaos apparent. Voici quelle en est l’économie.

Le mouvement à Londres ne s’opère que dans une seule direction. Rien ou presque rien ne va du nord au midi, ni d’une rive de la Tamise à l’autre rive ; le courant des hommes, des transports et des affaires roule parallèlement au fleuve, et de l’est à l’ouest. On calcule la quantité de mètres cubes qu’une rivière, en passant sous un pont, débite chaque jour à l’étiage ; si l’on pouvait compter le nombre des personnes qui circulent à pied, à cheval ou en voiture, de l’extrémité de Piccadilly à la Banque, en suivant le Strand, Cheapside et Ludgate-Hill, on trouverait probablement près de cinquante mille passagers par heure, et plus de cinq cent mille par jour.

En remontant la Tamise, on aperçoit d’abord les docks, les grands magasins et la Tour ; le quartier où viennent s’entasser, et d’où sont expédiés les produits des deux hémisphères ; l’arsenal militaire et les arsenaux du commerce ainsi que de l’industrie. Là, un vaisseau peut, en quelques heures, déposer sa cargaison et recevoir un nouveau chargement. De là sortent des certificats qui représentent la valeur de la marchandise, qui rendent cette valeur disponible, et qui la monnaient, pour ainsi dire, sans nécessiter des déplacemens