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MORALISTES DE LA FRANCE.

comme il dit[1]. Le chapitre vii, dans lequel il commente à sa guise le conseil d’Aristote que celui qui veut se réjouir sans tristesse n’a qu’à recourir à la philosophie, nous le montre, au milieu de cette fougue du temps, savourant ce profond plaisir du sceptique qui consiste à voir se jouer à ses pieds l’erreur humaine, et laissant du premier jour échapper ce que, vingt-cinq ans plus tard, il exprimera si énergiquement dans le Mascurat : « Car, à te dire vrai, Saint-Ange, d’une des plus grandes satisfactions que j’aie en ce monde, est de découvrir, soit par ma lecture, ou par un peu de jugement que Dieu m’a donné, la fausseté et l’absurdité de toutes ces opinions populaires qui entraînent de temps en temps les villes et les provinces entières en des abîmes de folie et d’extravagances. » Aussi quelle pitié pour lui que la Fronde, et que toutes les frondes ! Il fut servi à souhait durant sa vie.

Bien qu’en plus d’un passage de ce livre sur les Rose-croix, la religion chrétienne ne semble pas suffisamment distinguée de ce qui est touché tout à côté, il apparaît assez clairement que l’auteur ne favorise en rien les nouveautés religieuses qui ont troublé le royaume et porté atteinte à la foi des aïeux. Il incline pour l’ordre politique avant tout, pour la raison d’état, et, tout en se conservant sceptique, il se prépare à être très romain.

L’Apologie pour tous les grands personnages qui ont été faussement soupçonnés de magie, publiée en 1625, est un livre très savant dont le sujet, pour nous des plus bizarres, ne peut s’expliquer que par la grossièreté des préjugés d’alentour. Il s’agit tout simplement de prouver que Zoroastre, Orphée, Pythagore, Numa, Virgile, etc., etc.,

  1. La rose, dans l’antiquité, était l’emblème à la fois du plaisir et du mystère ; c’est pourquoi on la suspendait aux festins :

    Est rosa flos Veneris, cujus quo furta laterent,
    Harpocrati, matris dona dicavit Amor.
    Inde rosam mensis hospes suspendit amicis,
    Conviva ut sub ea dicta tacenda sciat.

    Naudé, qui cite cette épigramme dans la préface de ses Rose-Croix, l’a remise depuis dans son Mascurat, et en a fait la plus jolie page de ce gros in-4o : « La fable ancienne ou moderne dit que le Dieu d’Amour fit présent au Dieu du Silence, Harpocrate, d’une belle fleur de rose, lorsque personne n’en avoit encore vu et qu’elle étoit toute nouvelle, afin qu’il ne découvrit point les secrètes pratiques et conversations de Vénus sa mère ; et que l’on a pris de là occasion de pendre une rose ès chambres où les amis et parens se festinent et se réjouissent, afin que, sous l’assurance que cette rose leur donne que leurs discours ne seront point éventés, ils puissent dire tout ce que bon leur semble. »