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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

testans hésitèrent plus d’une fois entre ces deux politiques. Ils balançaient entre le désir de signer une paix directe avec l’empereur, s’ils y trouvaient de grands avantages, et le besoin de s’unir plus étroitement à la France, dans le cas où leurs secrètes négociations viendraient échouer. Long-temps bercés par Ferdinand d’illusoires espérances, ils se trouvèrent contraints, pour couvrir leurs manœuvres, de prolonger la guerre par des lenteurs calculées et des opérations sans résultats décisifs.

Des vues si diverses et si complexes suffisent pour expliquer la prolongation de cette lutte sans qu’il soit besoin de l’attribuer à l’égoïsme du ministre. Richelieu profitait sans doute de l’état de guerre, en ce sens que l’opinion reportait jusqu’à lui l’honneur des opérations heureuses, et qu’aux jours des revers il devenait de plus en plus nécessaire à son roi ; mais la guerre résultait de l’état même de l’Europe, où tant de princes voyaient leurs destinées remises au hasard des combats. Elle était dans les mœurs d’une génération qui abordait la civilisation moderne avec les belliqueux instincts des âges précédens, elle était entretenue par l’omnipotence des cabinets que la domination des intérêts matériels et les conditions du crédit n’enchaînaient alors dans aucune de leurs conceptions politiques. À cette époque, il fallait triompher d’autant d’obstacles pour faire la paix qu’il en faudrait vaincre aujourd’hui pour faire la guerre.

Cependant ce vaste développement militaire, inconnu jusqu’alors en Europe, n’était pas l’objet principal des sollicitudes du ministre. Quoique le sort des armes lui eût été plus d’une fois contraire, et que la marche des Espagnols en Picardie après les échecs de la campagne de 1636 eût mis son pouvoir à la plus difficile épreuve, les dangers étaient plus grands encore à la cour que dans les camps. Le roi, qui, pour faire triompher la politique du cardinal, avait chassé sa mère, rompu avec sa femme, et fait tomber les plus hautes têtes de son royaume, faillit, au plus fort de cette crise européenne, se laisser pousser par les inquiétudes de sa conscience dans des voies contraires à celles où l’avaient engagé les inspirations de sa politique[1]. D’autres difficultés d’ailleurs s’élevaient devant Richelieu.

  1. La lettre adressée par le père Caussin à Mlle de La Fayette de Quimper-Corentin, lieu de son exil, est un des plus curieux monumens épistolaires de cette époque. Jamais les intérêts humains et les considérations politiques n’ont été enlacés d’une manière aussi spécieuse à la spiritualité la plus élevée. Elle a été imprimée tout entière à la suite de l’ouvrage de M. A. Jay, Histoire du ministère du Cardinal de Richelieu, 2 vol. in-8o ; Paris, 1816.