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fût de la nécessité de l’alliance britannique pour la poursuite de ses projets ultérieurs contre l’Espagne. Il s’agissait, en effet, de triompher de la rébellion et de faire respecter les engagemens pris avec la France dans la personne de la fille de ses rois, questions d’honneur et de sûreté sur lesquelles il déclare à chaque page de ses écrits qu’aucune transaction n’était possible à ses yeux. Cette double satisfaction obtenue par la dispersion de la flotte de Buckingham et la soumission de La Rochelle, le cardinal reprit avec le gouvernement anglais des rapports dont on vit Mazarin, l’exécuteur de son testament politique, pousser l’intimité presque jusqu’au scandale sous la dictature de Cromwell.

Garanti du côté de Charles Ier, protégé par un nouveau traité de subsides avec la Hollande, le cardinal saisit l’occasion du démêlé de la Valteline et de la succession de Mantoue, pour engager avec l’Espagne une guerre destinée à ne finir qu’au traité des Pyrénées, malgré quelques intermittences. S’assurer de bonnes frontières, se ménager au dehors une influence suffisante pour contrebalancer celle de l’Escurial, devant laquelle s’inclinait alors l’Europe, telle est la double pensée du ministre. Il ne rêve pas les conquêtes lointaines et les agrandissemens démesurés. Nul n’a qualifié plus sévèrement les expéditions françaises en Italie. Il répète sans cesse dans ses Mémoires, à propos de l’occupation de Pignerol, que la France ne doit jamais s’engager au-delà des Alpes, qu’il lui faut seulement quelques portes ouvertes sur ces riches contrées, afin de protéger leur indépendance. Il n’ambitionne au midi que le Roussillon, complément nécessaire de notre territoire ; au nord, il convoite l’Alsace et la Lorraine, pour que l’empire ne puisse pas serrer la France d’aussi près. Ces deux positions lui semblent indispensables, afin de donner à celle-ci aux bords du Rhin une juste mesure de force et d’influence. La liberté des puissances secondaires de l’Allemagne ne lui paraît pas un intérêt moins important que la reprise d’une partie de cet héritage de Bourgogne, dont sa patrie fut dépouillée au préjudice de la sécurité de sa frontière, et c’est comme garantie de cette sécurité même qu’il médite la conquête de la Franche-Comté et le partage avec la Hollande des Pays-Bas espagnols.

De tels projets étaient vastes sans doute, mais aucun n’était le fruit d’une ambition sans limites, et ne saurait justifier, dans la conscience de l’Europe, les accusations d’athéisme et de brigandage jetées à la mémoire du grand ministre français par un célèbre écrivain