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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

Quelles conséquences aurait eues pour le monde la substitution d’un pouvoir central énergique à la primauté d’honneur départie au chef du saint-empire par les constitutions du corps germanique ? Il est difficile de le dire ; il y aurait d’ailleurs peu d’intérêt à le rechercher. On peut croire cependant, à ne consulter que les faits de l’histoire, que l’indépendance du pouvoir religieux aurait souffert de ce grand changement plus qu’il n’en eût profité, et peut-être n’est-il pas interdit de penser que la puissance impériale, devenue effective en Italie comme en Allemagne, aurait préparé à la cour de Rome des épreuves non moins redoutables que celles auxquelles elle fut soumise par les succès partiels de la réforme. Ce qu’on peut affirmer, dans tous les cas, avec une certitude plus entière, c’est que, si la suite des temps avait transformé l’incohérent état de choses régi par la bulle d’or en une monarchie régulière, la France perdait sa place dans le système général du monde, et que l’ascendant moral aurait nécessairement passé avec l’autorité politique à l’Espagne et à l’Autriche indissolublement unies. D’ici sort à nos yeux l’éclatante justification des voies cachées de la Providence, qui préserva l’initiative intellectuelle de la France et peut-être l’indépendance du saint-siége par l’évènement qu’on pouvait croire destiné à ébranler sur ses fondemens éternels le catholicisme lui-même.

S’opposer à l’accroissement de la puissance impériale était donc un devoir prescrit à la France par le souci de sa propre destinée. François Ier l’avait accompli comme Henri II, et les Bourbons l’héritèrent des derniers Valois. Si la ligue fit perdre de vue cette pensée nationale, c’est que la France eut un moment à défendre un intérêt encore plus vital que celui de sa propre grandeur. S’unir aux électeurs protestans pour résister à l’empereur, à la Hollande pour combattre l’Espagne, était dans la politique française une tradition non moins constante. François Ier avait recherché les luthériens confédérés à Smalcalde ; Henri II avait combattu avec eux ; Henri IV avait soutenu et soudoyé la révolte des Provinces-Unies : Richelieu ne fit pas autre chose, mais il agit sur une échelle plus vaste, avec des vues plus fermes et des succès plus soutenus.

Nous l’avons vu, au début de son ministère, exposant sa politique avec une netteté merveilleuse, et sacrifiant aux circonstances sans se laisser détourner du but invariablement poursuivi par son esprit. C’est ainsi qu’il n’hésita point à engager avec l’Angleterre une lutte périlleuse à son avénement aux affaires, quelque convaincu qu’il