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célèbres parce qu’ils exprimaient audacieusement la pensée commune :

Une heure après la mort notre ame évanouie
Sera ce qu’elle était une heure avant la vie.

Au reste, nous nous en rapportons à ces deux mêmes hommes qui ont tant applaudi au supplice de Vanini. Garasse écrit cinq ans après l’évènement : trouve-t-il que cette affreuse exécution ait fait reculer d’un pas l’athéisme ? Loin de là, il pousse un cri de détresse à l’aspect de ses progrès toujours croissans. Mersenne ne voit partout qu’athées, déistes et sceptiques. Il lance contre eux trois gros ouvrages[1]. Dans celui-là même où il raconte et célèbre la fin misérable de Vanini, il déclare que l’athéisme triomphe dans le monde entier ; que le nombre des athées s’est tellement accru qu’il ne sait pas comment Dieu peut les laisser vivre ; que Paris sent encore plus l’odeur de l’athéisme que celle de la boue ; qu’il y a à Paris au moins cinquante mille athées, et que telle maison à elle seule en contient douze[2] : exagération ridicule que Mersenne a été obligé de désavouer lui-même. Cependant tous les témoignages contemporains conspirent à démontrer que l’héritage légué par le XVIe siècle au XVIIe était un esprit général de mécontentement contre le passé et le moyen-âge, en philosophie mille essais confus pour affranchir à tout prix l’esprit humain de la scolastique, et dans ce désordre, premier fruit d’une émancipation mal assurée, le plus déplorable scepticisme.

Tel est l’état vrai de la philosophie à l’ouverture du XVIIe siècle. Transportez-vous à cinquante ans par-delà et dans la dernière moitié de ce même siècle : tout est changé. Une philosophie nouvelle, aussi étrangère au joug pesant de l’autorité scolastique qu’à la témérité d’essais déréglés, a partout accrédité des doctrines généreuses où l’immatérialité de l’ame et l’existence de Dieu sont établies par des argumens invincibles tirés de la nature même de l’esprit humain. Cette grande philosophie fleurit d’accord avec la religion ; elle se

  1. La Vérité des Sciences contre les sceptiques ou pyrrhoniens, 1625. — L’impiété des déistes, athées et libertins de ce temps, combattue et renversée, etc., 1624. — Quœstiones in Genesium, etc., in-fol., 1623.
  2. Quœstiones, etc. Feuillets rétablis par Chaufepié : « Unicam Lutetiam 50 saltem atheorum millibus onustam esse, quæ si luto plurimùm, multo magis atheismo fœteat, adeo ut unica domus possit aliquando continere 12 qui hanc impietatem vomant. »