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LA VIE ET LES ÉCRITS DE VANINI.

l’horreur des superstitions malfaisantes jusqu’à l’impatience de toute règle et de tout frein, tour à tour audacieux et pusillanime, circonspect et dissimulé jusqu’à l’apparence de l’hypocrisie, puis tout à coup faisant montre de ses pensées les plus secrètes jusqu’à la plus extrême licence ; tantôt comme accablé par le sentiment pénible de l’oppression et de la misère dans laquelle il vit, tantôt insouciant et frivole, prodigue à la fois de louanges et de sarcasmes. Si ce n’est pas le Voltaire, c’est le Lucien du XVIe siècle : il en a l’esprit, l’érudition légère, la mordante parole et trop souvent le cynisme. S’il fût venu un peu plus tard, moins persécuté, moins exaspéré par conséquent, il eût porté d’autres sentimens sous une doctrine semblable ; il eût fait partie de la discrète école de Gassendi, de Hobbes, de La Mothe-le-Vayer, de Sorbière, et de la société des libres penseurs et des joyeux convives du Temple ; il serait mort doucement, comme l’abbé de Chaulieu, en possession de quelque bénéfice, entre Laure et Isabelle. Au début du XVIIe siècle, entre le bûcher de Bruno et le cachot de Campanella, sous une insupportable tyrannie, il passa sa vie dans une agitation perpétuelle, errant sans cesse d’excès en excès, cachant mal l’impiété sous l’hypocrisie, et il finit par périr misérablement à la fleur de l’âge.

Après avoir analysé ses ouvrages, suivons-le dans les tragiques aventures où l’infortuné a laissé sa vie. Nous connaissons et sa doctrine et son caractère ; nous ne serons donc dupe d’aucune apparence, et nous n’aurons pas besoin de le croire chrétien sincère et adorateur de Dieu, pour couvrir d’opprobre la sentence exécrable qui pèse encore sur la mémoire du parlement de Toulouse.

Vanini avait à peine trente ans en 1616, lorsqu’il publia les Dialogues. Quelque temps après, il quitta Paris, et, poussé par sa mauvaise étoile, il se rendit à Toulouse. Là, selon sa coutume, il gagna sa vie en donnant des leçons. Son esprit, sa vivacité italienne, ses manières engageantes lui firent bientôt de nombreux élèves. Il enseignait, à ce qu’il paraît, un peu de tout, mais particulièrement la médecine, et, sous le manteau, la philosophie et la théologie. Mais, en vérité, que pouvait-il enseigner, sinon ce qu’il pensait, avec plus ou moins de précautions ? Quelles étaient ses mœurs au milieu de cette ardente jeunesse, et dans cette ville où régnait le plaisir à l’égal de la dévotion ? Nous ne sommes pas tenté d’accuser par conjecture ; cependant il nous est impossible de ne pas nous souvenir des deux tristes passages des Dialogues.