Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/715

Cette page a été validée par deux contributeurs.
709
LA VIE ET LES ÉCRITS DE VANINI.

déférence trahissent une ironie manifeste. L’Amphithéâtre glorifie la providence ; les Dialogues sont bien près de confondre Dieu et le monde, non pas en montrant Dieu partout dans le monde, mais en faisant du monde un être éternel vivant de sa propre vie, un dieu. L’Amphithéâtre parle souvent de volonté et de liberté, du mérite et du démérite ; les Dialogues tirent toutes les actions du tempérament et du climat. Le premier de ces écrits renfermait déjà quelques principes équivoques, le second abonde en maximes corrompues. Sans doute ces différences frappantes couvrent, nous l’avons fait voir, une même doctrine métaphysique, la théodicée d’Aristote, encore mutilée par Averroës et réduite à un seul principe, incapable d’atteindre les plus intimes attributs de la Divinité et d’expliquer les vrais rapports de l’univers et de Dieu ; mais, dans l’Amphithéâtre, cette doctrine imparfaite, dominée et contenue par la foi chrétienne, n’a presque porté aucune mauvaise conséquence, tandis que, dans les Dialogues, toutes les barrières, tous les voiles sont levés, et la funeste doctrine se montre au grand jour tout entière. En un mot, les deux ouvrages sont évidemment du même auteur, qui tantôt a mis un masque, et tantôt paraît à visage découvert.

C’est parce que Vanini a ces deux aspects différens qu’il a été jugé différemment, selon qu’on l’a considéré sous l’une ou sous l’autre de ces deux faces. Il faut une bien grande sagacité pour voir l’athéisme dans l’Amphithéâtre et il en faut bien peu pour ne pas le voir dans les Dialogues. Il n’y a guère que l’extrême apologiste et l’extrême adversaire de Vanini, Arpe[1] et Durand[2], qui le déclarent partout également coupable ou également innocent. Durand tire l’athéisme de Vanini de la définition même de Dieu, dans le premier et dans le second chapitre de l’Amphithéâtre ; mais il faut convenir qu’il n’est pas difficile en fait d’athéisme. Que voulez-vous demander à un critique qui n’entend pas même ce qu’il critique, et fait des remarques de cette force[3] : « Dieu est à lui-même son commencement et sa fin. C’est là un petit galimatias qui ne signifie rien. » — « Il est hors de tout sans être exclu. Autre jeu de mots. » — « Il est bon sans qualité. La bonté de Dieu est spirituelle et morale ; notre impie n’y pense pas avec sa qualité, etc. » De son côté, Arpe[4] s’écrie : « Vanini a-t-il ignoré Dieu ? Qu’on lise, qu’on relise, qu’on lise jusqu’au bout ses

  1. Apologia pro Jul. Cœsare Vanino Napolitano ; Cosmopoli, 1712, in-8o.
  2. La Vie et les sentiment de Lucilio Vanini ; Rotterdam, 1717, in-12.
  3. Vie de Vanini, p. 85.
  4. Apol., p. 41.