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Isabelle ; il faisait pour celle-ci de jolies chansons, et il tient à ce que la postérité sache qu’il la nommait son œil gauche[1] : car il faut le dire, Vanini est tellement occupé de lui-même, qu’il nous entretient soigneusement de tout ce qui se rapporte à sa personne. Il nous parle de la noble origine de sa mère, de l’âge qu’avait son père lorsqu’il eut un tel fils ; il raconte les aventures qui lui sont arrivées dans son enfance et dans sa jeunesse ; il nous dit où il était l’année dernière ; il nous apprend que, malgré les infirmités précoces nées de ses longues veilles, il est bien fait, d’un visage agréable qu’il doit à sa mère, d’une humeur enjouée qu’il doit à son père. Pour son esprit, son savoir, son éloquence, il les fait louer avec excès par son interlocuteur Alexandre, et montre partout une vanité portée jusqu’au ridicule. Alexandre l’appelle « le prince des philosophes, le dictateur des lettres, l’Hercule de la vérité. » Aristote et Albert-le-Grand ne sont rien auprès de lui. Enfin, après avoir épuisé toutes les formules de l’éloge, il termine ainsi : « Avec une telle sagesse, il ne me reste plus qu’à te dire : « Tu es un dieu ou Vanini. » Et Jules-César répond avec modestie : « Je suis Vanini. »

Après cette analyse ingrate, mais fidèle, devant ces longs extraits d’une fatigante exactitude, et cet amas de témoignages empruntés à Vanini lui-même, dans l’impartialité la plus rigoureuse, est-il possible de ne pas conclure de tous ces passages authentiques : Oui, l’auteur des Dialogues est impie ? Le pâle déisme qui s’y trouve encore de loin en loin s’évanouit le plus souvent dans une sorte de déification de la nature, et dans ce qu’on appellerait aujourd’hui le panthéisme. Vanini n’admet philosophiquement ni l’immatérialité ni l’immortalité de l’ame. Sa morale, conforme à sa métaphysique rejette la distinction essentielle du bien et du mal, et tire la vertu et le vice de circonstances extérieures, étrangères à la raison et à la liberté : elle se réduit à la recherche du plaisir avec assez peu de retenue et de scrupule.

Tel est le jugement que nous arrachent irrésistiblement les Dialogues : il est bien différent de celui que nous avions porté de l’Amphithéâtre. Ce sont en effet deux ouvrages qui paraissent difficiles à concilier. Ici, pas un mot qui ne respire une orthodoxie sévère et même le dévouement à l’église ; là, au contraire, les protestations de

  1. Dial., p. 298. « J. C. :… Hinc venit mihi in mentem subiratam semel mihi fuisse Isabellam amasiam meam, quod in quadam cupidinea cantiuncula sinistrum meum oculum illam appelassem. »