Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/692

Cette page a été validée par deux contributeurs.
686
REVUE DES DEUX MONDES.

être que nous appelons Dieu[1]. » Cette preuve est bonne, elle est fort solide, et elle se retrouve dans toutes les grandes philosophies. Vanini l’admet, donc Vanini n’est pas athée. Mais Vanini n’admet que celle-là : il le déclare expressément au commencement de l’Amphithéâtre, et nulle part il n’en admet aucune autre. De là une théodicée très imparfaite. En effet, si tout être fini suppose un être éternel, il reste à savoir quel est cet être éternel. Puisque l’argument du mouvement est rejeté, cet être éternel ne peut plus être la cause de rien ; il n’est plus que la substance de tout. Cette substance éternelle que les êtres finis supposent, mais qui ne les a pas faits, ne peut avoir d’autres attributs que ceux qui se déduisent de son essence, de l’éternité et de l’infinité, et rien de plus. Comme l’être infini, en tant qu’infini, n’est pas un moteur, une cause, il n’est pas non plus, en tant qu’infini, une intelligence ; il n’est pas non plus une volonté, il n’est pas non plus un principe de justice, ni encore bien moins un principe d’amour. Encore une fois, s’il était tout cela, s’il possédait tous ces attributs, il ne les tiendrait pas de l’éternité et de l’infinitude, et on n’a pas le droit de les lui imputer en vertu de cet unique argument : tout être contingent suppose un être qui ne l’est pas, tout être fini suppose un être infini. Le dieu que donne cet argument est donc, à la rigueur ; mais il est presque comme s’il n’était pas, pour nous du moins qui l’apercevons à peine dans les hauteurs inaccessibles d’une éternité et d’une existence absolue, vide de pensée, d’activité, de liberté, d’amour, semblable au néant même de l’existence, et mille fois inférieure, dans son infinitude et son éternité, à une heure de notre existence finie et périssable, si pendant cette heure fugitive nous savons que nous sommes, si nous pensons, si nous aimons quelque autre chose que nous-mêmes, si nous nous sentons capables de sacrifier librement à une idée le peu de minutes qui nous ont été accordées. « L’homme n’est qu’un roseau, mais c’est un roseau pensant. » J’ajoute : c’est un roseau voulant et aimant. « C’est de là qu’il faut nous relever, non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir[2]. » Sous peine de mettre en Dieu moins qu’il n’y a réellement en l’homme, il faut, par un argument analogue à celui du mouvement, après avoir considéré Dieu comme le principe des mouvemens qui ont lieu dans le monde, le considérer encore comme le principe de la pensée, de l’activité

  1. Amphith., ex. I, p. 3.
  2. Pascal, d’après Descartes. Voyez notre livre Des Pensées de Pascal, p. 43, et p. 107.