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DES FEMMES MORALISTES.

préciation qu’il sera permis de trouver sévère, pourvu que l’on n’oublie pas que la sévérité est du respect envers le talent.

C’est le mariage qui a fourni à Mme Agénor de Gasparin le sujet d’un livre qui est aux antipodes des ouvrages sur la même matière dont nous parlions tout à l’heure, et qui de la licence effrénée nous fait passer au rigorisme. L’union conjugale n’a été établie, selon Mme de Gasparin, que pour la sanctification de l’humanité ; mais l’idée primitive s’est, de nos jours, si corrompue, que pour rentrer dans les voies de Dieu, le mariage doit être absolument régénéré. C’est la mission que s’est donnée l’auteur du Mariage au point de vue chrétien, mission qu’elle a acceptée héroïquement dans toutes ses conséquences, et qu’elle a remplie avec une ardeur de prosélytisme qui pourrait prendre un autre nom, et qu’on ne croyait plus de notre temps. Le mariage, tel qu’il est, n’a pas trouvé de plus violent adversaire, ni le mariage, tel qu’elle le conçoit, de plus fougueux apôtre. Elle pousse si loin ce zèle, que dans sa colère contre le mariage actuel il nous semble qu’elle le calomnie, et que dans son enthousiasme pour l’union conjugale qu’elle désire, il nous semble qu’elle crée un idéal qu’il n’est donné à personne d’atteindre. Elle commence par une satire et finit par un rêve.

Mme de Gasparin veut régénérer le mariage par la loi chrétienne ; mais elle enlève au christianisme son véritable élément, la douceur, et en fait une sorte de loi terrible, qu’elle préconise dans toute sa rigueur, en s’attachant beaucoup plus à prouver qu’à persuader, et à convaincre qu’à émouvoir. Dès le début, on s’aperçoit que le livre de Mme de Gasparin se rattache au mouvement religieux qui agite la Suisse française depuis quelques années, et qui s’est donné le nom de réveil évangélique. Certes, rien ne serait plus louable que de chercher à réveiller le sentiment religieux au cœur de l’homme, si les plus légitimes mouvemens d’idées ne tournaient à mal quand l’exagération se met de la partie. Or, il n’est pas rare de voir de jeunes ministres, animés d’un zèle peu raisonnable et à peine arrivés dans un pays avec charge d’ames, s’élever avec colère contre des usages innocens qu’ils considèrent comme des relâchemens infâmes, et vouloir tout faire plier sous leur puritanisme inflexible. Le prédicant le plus dur est toujours suivi, dit quelque part Voltaire. Quelques femmes écoutent le jeune ministre, des enfans aussi. Les hommes résistent et murmurent d’abord ; ils espèrent cependant que la fougue du jeune pasteur se refroidira, et dans cet espoir ils attendent. Ils