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REVUE. — CHRONIQUE.

la barbarie jusqu’à placer un grand nombre de Basques dans la douloureuse alternative, ou de prendre les armes contre leur volonté, ou de ne plus trouver de travail ? Ce qui est certain, c’est que M. le consul-général avait journellement à sa porte une foule de Basques expulsés des ateliers, et que, loin de les pousser à s’enrôler, il leur distribuait des secours pécuniaires, afin de les soustraire à la plus affreuse misère et de les arracher peut-être au désespoir.

Les Français qui ont pris les armes ont toujours raisonné comme si l’amiral et le consul étaient entièrement libres de leurs mouvemens, sans s’enquérir le moins du monde de la nature des instructions que l’un et l’autre tenaient du gouvernement du roi. Ils portaient aux nues le commodore Purvis, et accusaient notre amiral de manquer d’intelligence, de patriotisme, d’énergie. Les commandans des deux frégates, dont un remplit les fonctions de chef d’état-major, n’ont pas non plus échappé à leurs sarcasmes et à leurs épigrammes.

L’amiral eût été pour eux un homme de génie, si, prêtant l’oreille à leurs insinuations, il eût mis à terre six cents matelots pour leur servir d’avant-garde dans leurs excursions belliqueuses, et si, engageant arbitrairement la France dans la querelle, il eût commencé un second blocus de Buénos-Ayres. Les marchands se rappelaient l’état florissant de leur commerce pendant la durée du premier blocus. Ils demandaient la paix, c’est-à-dire l’intervention armée de la France pour amener la chute de Rosas, sans songer que Rosas n’est qu’un individu, et qu’une fois le dictateur tombé, restaient toujours les blanquillos, ses partisans.

Il ne faut pas se faire d’illusions sur les luttes qui déchirent ces malheureuses contrées. Tout porte à croire qu’elles ne pourraient cesser promptement que par la destruction complète de l’un des partis : chercher à obtenir ce résultat par la voie de la conciliation serait, à notre avis, vouloir faire remonter un fleuve vers sa source. Si les puissances maritimes qui sont le plus directement intéressées au maintien de la paix et au développement du commerce dans le Rio de la Plata, étaient disposées à de grands sacrifices pour maintenir d’une manière permanente des forces imposantes sur ce point, peut-être à l’aspect de cet appareil habilement dirigé, les partis affecteraient-ils des intentions pacifiques ; mais il ne faudrait pas néanmoins s’y méprendre, ce repos ne serait point réel, et comme ces athlètes qui s’observent et se mesurent des yeux, on les verrait bientôt saisir le prétexte le plus frivole pour recommencer la guerre : les combattans la feraient alors avec d’autant plus d’acharnement, qu’ils auraient eu le loisir de s’y préparer, et, il faut en convenir, la situation topographique du pays est telle que la Bande Orientale sera toujours le théâtre de la lutte, à moins qu’il ne survienne de ces changemens extraordinaires, qu’il n’est donné à personne de prévoir.

Quant à nous, nous croyons que le moyen le plus efficace de mettre un terme, sinon prochain, du moins assuré, aux déchiremens qui désolent ce beau pays, c’est de ne pas entraver le cours naturel des choses ; on ne ferait