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nous de parler de ce qui, dans notre époque, distingue admirablement ces trois intelligences d’élite, c’est-à-dire, de leur amour profond du devoir, et de l’ardeur réfléchie avec laquelle elles ont marché, chacune dans sa voie, vers le même point lumineux. Elles ont aimé et voulu faire aimer le devoir ! Elles n’avaient donc pas connu la vie ? elles n’avaient pas souffert ? sans doute elles avaient vécu toujours dans l’heureuse ignorance des sacrifices imposés à la femme ? Tout leur avait souri ? Venues dans des temps paisibles, où les règles du devoir étaient d’inébranlables colonnes placées de distance en distance sur la route, et indiquant si clairement le chemin, qu’il était impossible de s’égarer, elles n’avaient eu que la peine de regarder autour d’elles et de marcher ? — Au calme du langage, à la sérénité de la pensée, on serait tenté de le croire. Il n’en est rien pourtant. Ce n’est pas l’expérience amère de la vie, ce ne sont pas les épreuves douloureuses qui leur ont manqué, et elles ont traversé des temps plus difficiles que le nôtre, des temps où toutes les notions du vrai et du juste étaient altérées et méconnues. Ces règles salutaires, qu’elles ont soutenues avec une conviction éloquente, ce n’est donc pas partout autour d’elles qu’elles les ont trouvées, c’est dans leur cœur. Tout en s’efforçant d’améliorer la société actuelle, principalement sous le rapport de la condition des femmes, tout en étudiant les défauts de l’ordre social et en les signalant sans crainte, en préparant l’avenir, elles acceptaient le présent, et il est consolant et beau de voir d’aussi belles intelligences dévouées ardemment au progrès et au devoir. Mme Guizot, Mme de Rémusat, Mme Necker de Saussure, font honneur à notre siècle et à leur sexe, et dédommagent des grands scandales dont nous avons été témoins.

La révolution de 1830 fit surgir une légion d’amazones qui arborèrent le drapeau de l’indépendance absolue, et se précipitèrent dans la mêlée en criant : Émancipation ! Ce ne fut point un de ces caprices éphémères du lendemain des révolutions, une de ces mille idées extravagantes qui sont comme une poussière que soulèvent en passant les crises sociales, qui tourbillonne un moment et retombe aussitôt. La fièvre qui s’empara d’un si grand nombre de cerveaux féminins fut longue ; elle dura près de dix ans, et n’a pas encore complètement disparu, bien qu’il ne reste plus de l’armée en déroute qu’un peu d’arrière-garde, qui pousse encore de loin en loin son malheureux cri de guerre, au milieu de l’indifférence générale, et qui n’excite plus même assez d’attention pour obtenir un petit succès de mépris et de colère.