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ATHÈNES ET LA RÉVOLUTION GRECQUE.

au milieu du salon ; les dames, habillées sans exception à l’européenne étaient assises sur les banquettes. Quand, remis d’un premier étonnement et de ce sentiment de malaise que l’on éprouve toujours en entrant dans un salon où l’on se croit complètement étranger, j’eus examiné avec plus d’attention les visages, je restai comme étourdi. Je connaissais presque tout le monde. Ces figures, je les avais vues cent fois ; où ? je n’en savais rien d’abord ; mais mes souvenirs s’éclaircirent peu à peu, et je reconnus un diplomate habitué du café de Paris, puis un officier de marine, plus loin de jeunes Grecs élevés en France et qui avaient été mes camarades de collége. Parmi les femmes, il n’en était peut-être pas une seule qui n’eût passé au moins un hiver à Paris. Elles étaient d’une parfaite élégance ; chaque semaine arrivent au Pirée les parures les plus fraîches et les modes les plus récentes. Pour donner une idée de la recherche du monde élégant d’Athènes, il suffira de dire qu’une dame de la chaussée-d’Antin, dont la beauté est justement célèbre à Paris, se trouvait en même temps que nous en Grèce ; elle venait tout exprès dans le Levant, nous assura-t-on, pour faire emplette d’étoffes nouvelles, et pour apprendre à bien poser sur sa tête le taktycos de Smyrne. Le premier jour, son arrivée avait épouvanté toute la société féminine ; mais, le soir, on s’était rassuré : les rubans de la lionne furent déclarés fanés, et l’on trouva ses toilettes d’un goût reprochable. Le bal s’anima peu à peu. On walsa avec entraînement, à l’allemande, sur des airs de Strauss. La soirée fut très gaie, mais de couleur locale il n’y avait pas l’ombre. Pas un détail ne rappelait l’Orient : le français était la seule langue que l’on parlât ; en un mot, d’une élégante maison de la rue Saint-Lazare on aurait pu passer dans ce salon grec sans s’apercevoir de la différence.

La haute société d’Athènes est prévenante, animée, surtout très joyeuse. En hiver comme au printemps, les bals, les fêtes, les dîners, se succèdent sans interruption. Une troupe italienne assez passable, qui, à l’instar de celle de Paris, partage l’année en deux saisons, arrive en automne dans la capitale de la Grèce, après avoir recueilli, pendant la canicule, les bravos des dilettanti de Smyrne. Des parties de campagne, des goûters sur l’herbe, des promenades à Égine ou à Éleusis, remplacent, l’été, les joies plus bruyantes du carnaval. Les réunions étant peu nombreuses, tout le monde se connaît, et l’on jouit à Athènes d’une chose à peu près inconnue dans les grandes villes, de l’intimité dans le monde. Cette façon d’être est assurément pleine de charme, mais elle a aussi ses inconvéniens.